J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 21/x

Yggdrasil cycle 2, l’arbre à palabres

Épisode 21
Personnages, acteurs, scénographie, mise en scène, etc. (ébauche)

– Posons clairement le cadre, déclare le syndic solennel, vous n’échapperez pas à une mise à l’enquête en bonne et due forme, et il va falloir bétonner le dossier – c’est une image – pour qu’il passe la rampe du premier coup.
Le verbe bétonner a fait trembler Yggdrasil, ce qu’a bien senti Alcide qui se lève, enlace son frère et lui caresse l’écorce en reprenant la formule du syndic – c’est une image, mon frère, sois sans crainte. Instants de silence et de joie.
– Merci mon grand Alcide, reprend le syndic, merci d’apporter un peu de poésie dans ces moments difficiles, toi aussi sois tranquille, vous aussi mes amis, ça va chahuter ces prochaines semaines, une grosse tempête va se lever mais, telle le roseau de la fable, la maison de paille va plier mais ne se rompra pas.
– Hurrah, ajoute Alcide, la poésie faut qu’ça rime!
– Heureusement que le h est muet! renchérit Célestine.
Éclats de rire. Éric remplit les verres de jus de groseille, Roger regarde tendrement Alcide, Vera regarde le syndic en se disant que la crise est en train d’en faire un chef, un vrai – comme le font souvent les crises, ou pas –, puis elle dit, sur un ton sans appel,  – maintenant que le décor est  posé, au boulot, y’a des délais qui courent! 
Le syndic (Ls)
– Donc, mise à l’enquête complète, dossier, plans, photos… [le syndic énumère les toutes les pièces nécessaires].
Roger (R)
– Pour le dossier on a tout, sauf le cadastre.
Éric (E)
– J’ai un cousin géomètre, je l’appelle après-midi.
Alcide (A) part un instant, revient avec sa boîte à dessin et déclare qu’il prépare un brouillon pour le cousin; Vera (V) lui emprunte une feuille et un crayon et prend des notes, une sorte de procès-verbal (PV); rêveuse, Célestine (C) regarde tantôt le petit dessiner, tantôt Eric.
Ls – Cet après-midi, je passe chez mon collègue de l’urbanisme, je lui fais le topo et la semaine prochaine on briefe les services et si le plan cadastral est prêt, on commence à faire circuler le dossier dans les services compétents, et ce n’est pas une image, l’administration de ce bourg est exemplaire, je m’en porte garant!
[Personne n’ose esquisser le moindre sourire, Vera ne lâche pas le syndic des yeux, Roger n’aime pas cette lueur qu’il y a dans ses yeux, ça lui rappelle un peu leur première rencontre au bord de la source (épisode 3), il se félicite que le syndic n’ait pas d’uniforme, ça peut faire beaucoup d’effet, parfois, un uniforme; mais Vera finit par regarder Roger, lui fait un clin d’oeil et esquisse un bec du bout des lèvres. Roger rosit].
Ls – Donc, tous les services communaux compétents vont mettre leur stempel, ce qui devrait logiquement entraîner les services cantonaux compétents – là, c’est une façon de parler – à faire de même. Ensuite mise à l’enquête.
– Je propose que pour la mise à l’enquête, on autorise les gens intéressés à venir voir, une sorte de mise-à-l’enquête-portes-ouvertes, histoire de pouvoir expliquer de vive voix pourquoi on a mis la charrue avant les boeufs et de montrer qu’on est de bonne foi.
Ls – Excellente idée! Mais de toute façon le dossier de mise à l’enquête devra comporter une préambule expliquant la situation…
C – …je me charge de le rédiger!
Ls – …et aussi d’annexes montrant que le bâtiment est exemplaire…
C – …tout comme le projet dans lequel il s’inscrit!
E – Oui! Demandons au directeur d’école certifié® d’attester que le projet est pédagogiquement irréprochable et qu’il va s’en inspirer pour l’école du bourg.
A – Il va faire des classes à un seul élève? [Il dit cela sur un ton narquois, mais l’air de rien, sans même lever le nez du brouillon cadastral qu’il est en train de réaliser].
[Eclats de rire, tournée de jus de groseille]. [Remarque pour l’équipe de mise en scène, accessoiristes compris: trouver un gros pot, ou un tonneau, et/ou quelqu’un qui fasse la navette entre la cuisine et la table pour remplir le pot, qu’il vaudra mieux prévoir en fer qu’en terre].
E – Demandons au commandant des pompiers, qui est dessinateur en bâtiment au civil, qu’il atteste que la maison a été conçue dans les règles de l’art et qu’elle ne craint pas plus le feu qu’un bâtiment traditionnel.
[Toujours sans lever le nez de son travail en cours] – Genre maison en pierre des Trois petits cochons?
E – Exactement!
R – Demandons au garde-faune…

Et Yggdrasil d’assister à l’énumération de celles et ceux qui pourraient amener de l’eau au dossier de mise à l’enquête tandis que Vera, dans un coin de sa feuille, estime les quantités de jus de groseille et d’autres fruits, fermentés ou pas, distillés ou pas, qu’il faudra pour étayer le projet déjà réalisé mais qu’il s’agit maintenant de mettre à l’enquête.
Et comme vous le verrez dès demain, cher public, il en faudra des litres, car ils seront nombreux à venir arpenter ces lieux, et arpenter, ça donne soif, foi.e d’arpenteur!

J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 20/x

Yggdrasil cycle 2, l’arbre à palabres

Épisode 20
Le premier juré

Est-ce ce petit garçon qui ne lui lâche pas la main, est-ce cette maison à taille humaine et la chaleur des matériaux qui la composent, est-ce l’enthousiasme qui peut s’emparer de nous lorsqu’il s’agit d’investir un nouveau lieu, est-ce l’inondation de soleil qui entre en même temps qu’eux par la terrasse, on ne sait pas, mais on aimerait faire durer ces instants durant lesquels le syndic est comme transfiguré; malgré sa cravate et sa taille, on dirait un enfant qui découvre un cabane au fond des bois, guidé par son petit frère qui l’aurait découverte avant lui. De peur de briser le charme, les adultes restent en retrait, ils suivent à distance en marchand sur des oeufs, l’oreille tendue, car les enfants parlent à voix basse, comme on le fait dans les cachettes, au fond des bois.
– Ici c’est la cuisine, avec son fourneau, Eric m’a dit qu’il m’apprendrait à allumer un feu avec une seule allumette, et sans papier.
– Et moi je t’apprendrai à faire de petits fagots, Alcide, avec les branches de tes frères et soeurs; tu sais coiffer les arbres? demande le syndic qui s’appelle Jean.
– Je n’ose pas essayer, mais je regarde papa et maman le faire chaque hiver.
– Ici c’est la pièce de vie, je suppose?
– Oui, il y a la grande table, pour quand il y aura plein de monde, et ici il y aura des bibliothèques, un canapé et des fauteuils.
– Tu sais déjà lire?
– Oui, grâce à Célestine et à mes parents.
– Alors je t’offrirai un livre, L’Homme qui plantait des arbres.
Là, ce sera la chambre de Célestine et d’Eric. A côté ce sera une chambre d’enfants, ou d’amis; je n’ai pas osé demander, ajoute Alcide en baissant encore la voix; et entre les deux chambres, il y a la salle de bain, et ici les wc avec de la sciure à la place de l’eau.
– Ça fera du bon fumier pour tes frères et soeurs!
– Oui! répond Alcide en se pinçant le nez.
Ils éclatent de rire et les adultes doivent se mordre les lèvres pour ne pas rappeler leur présence. Les deux enfants grimpent sur la mezzanine.
– Et ici, ce sera quoi? demande Jean.
– C’est pas encore décidé.
Un grand silence se fait dans la maison, on dirait que chacun réfléchit à la question, tant les enfants perchés que les adultes demeurés en bas.

Brusquement, Jean redevient syndic. D’un pas décidé il entraîne Alcide en bas, d’un geste énergique il fait comprendre aux adultes qu’on retourne à la table à palabres. On s’assied. Le syndic remplit les verres de jus de groseille, vide le sien d’un trait, regarde à la ronde et demande :
– Vous connaissez la pièce de théâtre Douze hommes en colère ?
– Oui! s’écrie Vera, c’est une histoire qui commence très mal et qui finit très bien, ou du moins, mieux qu’elle n’a commencé.
– Exactement! dit le syndic. Et il résume la pièce en modifiant certains éléments du procès, histoire de ne pas effrayer Alcide, qui n’a tout de même que six ans… – pourtant, la lectrice et le lecteur savent qu’Alcide, tout comme son frêne jumeau, est friand de mythologie grecque, mythologie dans laquelle il ne se passe pas que du joli, joli, mais ne nous écartons pas du sujet, pour une fois qu’on avance…
– La situation est simple, poursuit le syndic, on peut retourner les choses dans tous les sens qu’on veut, vous avez menti aux autorités – il regarde tour à tour les quatre adultes en faisant les gros yeux, puis adresse à Alcide un clin d’oeil complice. En tant que premier représentant des autorités du bourg, je devrais me mettre en colère et tonner de toutes mes forces, mais j’ai compris le mensonge et je devine la vérité qui se cache derrière, alors voici ce que nous allons faire.
Et le syndic d’expliquer que la pièce qui va se jouer dans le bourg ces prochains temps sera longue et que, comme dans la pièce de Reginald Rose, la majorité sera contre eux au début, mais nous les retournerons les uns après les autres, jusqu’au dernier, et on finira par vous l’obtenir, ce foutu permis d’habiter, tonnerre de Brest!
– Et comment on va faire? demande timidement Roger.
– Dans cette pièce qui va se jouer, je suis le premier juré, le premier à faire taire ma colère pour écouter ma raison. Grâce à ta visite guidée, mon grand Alcide, grâce à la réputation votre pédagogie, ma chère Célestine, j’ai été retourné par ce projet que je ne connais pas mais que je devine, ce projet au centre duquel se trouve la maison litigieuse. Alors si moi, syndic conservateur et porté sur la bouteille suis retourné, je vous le dis, tout le monde sera retourné, foi.e de jus de groseille, même ces Messieurs de la Capitale.

Alcide se met debout sur sa chaise, saisit à deux mains le pot de jus de groseille, fait signe aux grands de tendre les verres, les remplit, repose le pot, saisit son verre, le lève et déclare:
– J’ai compris! Et maintenant faisons la liste des personnages de la pièce.

J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 19/x

Yggdrasil cycle 2, l’arbre à palabres

Épisode 19
Une table au pied d’Yggdrasil

[Précisions de la rédaction
Quelques indices nous laissent penser que des liens sont en train d’être tissés entre ce feuilleton et un public naissant – fils invisibles. Il nous semble dès lors judicieux de faire en sorte que ces fils ne se détissent pas, même si, comme on l’a vu dans certains épisodes précédents, nous ne détestons pas la mythologie grecque – Pénélope, si tu nous lis, on t’embrasse et sache qu’on respecte beaucoup ce que tu fais, et caetera, et caetera –, d’autant plus judicieux que le rythme de parution des épisodes est encore chaotique – oui, on en a conscience –, et qu’on vous a promis, public naissant :

une liste des personnages qui sera régulièrement mise à jour;
– la genèse du feuilleton;
– un résumé des épisodes 1 à 16, avec correctifs, car la genèse a eu des ratés;
– et peut-être autre chose…

et que vous attendez toujours. Et voilà que l’épisode 19 apporte encore des complications, au niveau des titres et sous-titres en tout cas ; mais on en est où là ? auriez-vous le droit de dire, c’est quoi ce cycle 2 ? et pis d’abord i’ sont où les cycles 0 et 1, hein, i’ sont où ?
Pas de panique, tout est clair, jugez-en par vous-même, public naissant :

Yggdrasil, cycle 0 – naissance, adoption-transplantation, baptême, renaissance, enracinement
Né au bord de la source où Alcide fut conçu, le petit frêne est transplanté dans le jardin de Vera et de Roger, baptisé Yggdrasil, déclaré jumeau-aîné d’Alcide et se met à grandir dans le jardin, comme Alcide, sauf qu’Yggdrasil dort dehors, des fois avec Alcide, Vera et Roger à ses pieds – c’est une image –, quand le temps le permet.

Yggdrasil, cycle 1, l’arbre à papotes
Yggdrasil croît rapidement – l’eau de la source qui l’a vu naître avait peut-être des vertus particulières – et offre une belle ombre dans la jardin. Il devient le lieu principal où l’on raconte des histoires, pour les petits et pour les grands. Alcide et Yggdrasil s’enrichissent de ces histoires.

Et avec l’épisode 19 débute le cycle 2 d’Yggdrasil, cycle intitulé l’arbre à palabres, car il en faudra des palabres pour que le permis d’habiter dans cette maison de paille qui résiste aux orages soit délivré par les autorités compétentes – c’est une image.]

Voilà, on est prêts ? Alors allons-y, public naissant, entamons cet épisode 19 qui ouvre le cycle 2 et s’intitule, rappelons-le,  Une table au pied d’Yggdrasil…

L’orage passé, on se réunit donc au pied d’Yggdrasil pour faire le point (cf. épisode 18). Il y avait Vera, Célestine, Eric et Roger, sans oublier Alcide, qui ne perdait pas un mot, attentif comme son frêne jumeau – Alcide et Yggdrasil allaient acquérir beaucoup de maturité entre la Saint-Louis et la Saint-Martin.
– Nous devons avertir les autorités locales avant que ce fâcheux fonctionnaire-incendie ne le fasse, et en particulier le syndic, déclara Eric; nous devons avouer nos demi-mensonges, assumer nos demi-vérités, expliquer notre projet et tenter de convaincre.
– Tu as raison, je file chercher le syndic, à cette heure il doit avoir soif, dit Célestine avant d’enfourcher sa bicyclette.
Vif comme l’éclair, Alcide sauta sur le porte-bagages; aucun adulte n’eut d’objection, tous étaient conscients qu’en présence d’un enfant le syndic n’aurait pas de montée de lait – plutôt joli garçon, le syndic était très soupe au lait.
Le temps qu’ils reviennent, Yggdrasil fut témoins de la stratégie que Vera, Roger et Eric mettaient en place pour convaincre les acteurs clés de ce problème dont on craignait qu’il ne devienne kafkaïen – plus tard, bien plus tard, Alcide lira Kafka sous Yggdrasil, à voix haute, pour que son frêne jumeau n’en perde pas une virgule, mais n’anticipons pas, voici justement le syndic qui arrive, il marche joyeusement à côté de Célestine qui pousse son vélo, Alcide, lui, a eu le droit de rester sur le porte-bagages.
La petite troupe est très gaie et s’installe autour de la table que l’on a dressée au pied d’Yggdrasil – les autres s’étaient levé pour accueillir le syndic. Roger verse, chasselas pour les grands, jus de groseille pour Alcide et Vera fait passer les flûtes au beurre ; en retrait, tel un saint, Eric observe la scène, Célestine a-t-elle déjà annoncé la couleur au syndic ? Il ne le pense pas, l’homme jovial, bientôt rubicond, se réjouit de la couleur du vin, sans plus; alors, tel un Judas, Eric se dit qu’il est temps d’envoyer le signal et lève son verre :
– A votre santé, Monsieur le Syndic, à votre santé mes amis, à ta santé mon petit Alcide et…
– Je suis grand, en vérité ! l’interrompt Alcide en se levant d’un bond.
– Alors à la grandeur et à la vérité ! ajoute le syndic.
– A la grandeur et à la vérité ! reprennent les adultes en choeur.
– Et au permis d’habiter, ajoute Alcide.
Pour masquer leur surprise, les adultes se cachent derrière leur verre et le vident d’un coup. Silence. Regards.
C’est ce que je voulais dire quand j’ai été interrompu, poursuit Eric, et au permis d’habiter !
Roger remplit le verre du syndic.
– Voilà, Monsieur le Syndic, on ne vous a pas tout dit, mais allons-y, ce sera plus simple in situ et de visu, enchaîne Célestine.
Alcide ne sait pas encore le latin – il l’apprendra bientôt grâce au jardin – mais se lève, prend le syndic par la main et emmène son monde au bâtiment à usages agricoles, à quelques enjambées de la table à palabres que l’on vient d’installer au pied de l’arbre du même nom.

J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 18/x

Épisode 18
Une sorte de quiproquo…
Le chantier prit fin bien avant la Saint-Glinglin, mais il fallut tout de même attendre la Saint-Martin, donc presque la moitié de l’automne, pour pendre la crémaillère, ce qui est tout de même long pour une maison de paille. Mais il faut dire que tout avait commencé par une sorte de quiproquo, voire plus; jugez-en par vous même.

Vera et Roger savaient que les terrains attenant à leur fermette, bien que situés en bordure du bourg, étaient constructibles; ils savaient également que s’ils souhaitaient y construire une simple dépendance, comme un petit hangar, un enquête simplifiée suffisait. Il mirent donc à l’enquête un bâtiment  d’un peu plus 70 mètres carrés – un seul étage sur radier simple, toit à deux pans – le tout en bois, terre et paille, avec panneaux solaires (thermiques et photovoltaïques), quelques fenêtres et lucarnes par-ci, une ou deux portes par-là, un bâtiment à usages agricoles… Comme c’était une enquête simplifiée, il n’y avait pas besoin de plan détaillé pour l’intérieur et ceux qui examinèrent le dossier – autorités du bourg, encore très agricole, et de la région, une paysanne qui était en train de faire ses humanités – ne s’émurent pas de ces portes, fenêtres et lucarnes, après tout il faut bien entrer et sortir, et aussi de la lumière, dans un bâtiment à usages agricoles… Le dossier passa la rampe du premier coup et le permis de construire fut délivré.

On se mit donc à l’ouvrage. Le chantier n’était pas complexe et Vera, Roger, Célestine et Eric avaient de grandes compétences et aussi un excellent réseau, sans oublier le camion rouge, et Alcide, qui devenait grand, si grand qu’il put grimper tout seul sur la grande échelle avec le petit sapin qu’il arrima sur le toit avec l’aide d’Eric et de Célestine qui l’attendaient là-haut. On se hâta ensuite de couvrir le toit et d’y installer les panneaux, car on annonçait des orages heureusement, le matériel avait été commandé et livré a temps, merci le camion rouge. Lorsque les orages de la miaou arrivèrent, on constata que le toit tenait bon, ainsi que les portes, les fenêtres, et les lucarnes; on put donc tranquillement travailler à l’agencement intérieur tout jetant les premières idées – en l’air et sur le papier – pour la pendaison de crémaillère;  au rythme ou avançaient les choses, on espérait être prêts pour le 23 septembre, premier samedi de l’automne. Le jour où la foudre frappa, on était en train de rédiger les cartons d’invitation.

Malgré le côté riant de nos bourgs et de nos campagnes, il est rare que des fonctionnaires de la ville s’y aventurent en tournée d’inspection, allez savoir pourquoi. On crut que l’assurance incendie et risques naturels, délivrée par un établissement officiel sis juste à côté de la Capitale, passerait comme une lettre à la poste – c’est une image –, il n’en fut rien. Par malheur, le fonctionnaire en charge du dossier habitait le bourg – bien que proche de la retraite, il vivait toujours avec sa mère, une alerte fille-mère de huitante printemps. Par zèle ou curiosité, le fonctionnaire qui aurait pourtant eu droit à une retraite anticipée au 30 avril échu, se crut obligé de faire un crochet – avec sa grosse voiture qui l’amenait tous les matins droit à la ville – pour inspecter le bâtiment, ce qui n’était point obligatoire lorsqu’il s’agissait d’usages agricoles… Dès la terrasse, il repéra des signes évidents d’habitation; dehors il fulminait, dedans il explosa : alors on a une cuisine avec fourneau à bois ouvrant sur un très grand séjour, deux petites chambres, une salle de bain, des wc séparés – secs les wc! – une très grande mezzanine, tout ça en terre, en paille et en bois, le tout chauffé au bois, on rêve, je n’ai jamais vu ça en quarante ans de métier! et ils sont où les usages agricoles? On ne tenta même pas de lui expliquer le projet de pédagogie active et présentielle dans lequel s’inscrivait le bâtiment, car il mitraillait – au flash, en plus! – et noircissait son calepin de mots plein de rage et de ratures. Il déclara qu’il était de l’ancienne école, lui, fit les gros yeux, gronda, tonna et dit qu’il allait de ce pas – avec sa grosse voiture – aviser les autorités qu’elles avaient été bernées par de dangereux écolos tendance anarchos, et caetera, et caetera.

L’orage s’en alla comme il était venu, en véhicule tout terrain; la maison de paille avait parfaitement résisté aux foudres mais on n’était pas prêts d’y habiter. On se réunit au pied d’Yggdrasil pour faire le point et, de la Saint-Louis jusqu’à la Saint-Martin, le frêne devint l’arbre à palabres et vit défiler bien des jacasseurs.

 

 

J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 17/x

Avant l’épisode 17…
Nous nous quittions lundi sur la promesse de nous retrouver jeudi au plus tard, voilà qui est fait, et bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
Nous laissions aussi entendre qu’il y aurait un peu de nouveauté. Comme vous le voyez, toutes et tous, c’est écrit maintenant à deux mains, sur un clavier, plus besoin de faire « clic » pour découvrir l’épisode du jour comme vous le verrez dans un instant, l’épisode 17 est là, juste dessous, plus lisible, et sans doute mieux relu.
Mais ce n’est pas tout; d’autres nouveautés sont annoncées, par étapes, d’ici la semaine prochaine:
– une liste des personnages qui sera régulièrement mise à jour;
– la genèse du feuilleton;
– un résumé des épisodes 1 à 16, avec correctifs, car la genèse a eu des ratés;
– et peut-être autre chose…
Réjouissons-nous donc, et passons à l’épisode 17, car il est grand temps.

Épisode 17
La paille a bien changé
Du haut de ses six ans, Alcide n’appréciait plus guère les histoires du genre Les trois petits cochons; d’une part il avait mis le doigt dans l’engrenage de la mythologie grecque, avec ses déesses, ses dieux et ses héros si vivants dans les récits qu’en faisaient Célestine, Marco, Sophia, Hélène et Denys – et il rêvait d’en savoir plus sur cet Héraclès dont l’histoire semblait être liée à la sienne, lui le petit Alcide de six ans –, d’autre part il n’avait pas peur des loups, ses parents lui ayant appris qu’ils n’étaient ni gentils ni méchants, mais tout simplement utiles, voire nécessaires dans un écosystème digne de ce nom. Nonobstant ce qui précède, Eric entreprit de raconter Les trois petits cochons à l’enfant, mais dans une version courte pour ne pas trop l’impatienter. Au terme de l’histoire, Eric – le compagnon de Célestine, la maîtresse (d’école) d’Alcide, couple qui allait construire sa maison dans le jardin des parents d’Alcide, Vera et Roger – demanda à l’enfant:
– Laquelle de ces trois maisons penses-tu que nous allons construire? Tu tires à la courte paille ou tu donnes ta langues au chat?!
Alcide, qui pourtant voyait filer le vent et n’avait pas peur des loups, ne vit pas le piège et s’exclama:
– Celle en pierre! et on ira chercher de beaux blocs de calcaire dans la carrière toute proche, avec un camion rouge.
– Oui, on prendra un camion rouge, mais pour aller chercher des bottes de paille!
Éberlué, mais bon perdant malgré son jeune âge, Alcide fut captivé par les explications d’Eric sur les maisons en paille modernes, locales, écologiques, bonnes pour la santé, et caetera, et caetera.

L’essentiel de l’été fut donc consacré à la planification et à la construction de la maison de Célestine et d’Eric dans le jardin d’Alcide et de ses parents, Vera et Roger; et une bonne partie de l’automne aussi, car il fallut mettre à l’enquête, ce qui ne fut pas facile dans ce bourg pourtant peuplé de gens votant pour un parti qui aime l’herbe et de sympathisants d’un mouvement appelé expiration soulèvement. Du haut de ses six ans, Alcide qui voyait filer le vent fut donc initié aux arts et métiers – changer à Opéra –: dessiner des plans, soumettre, négocier, renégocier, graisser la patte, construire, fixer un sapin au faîte d’un toit, faire la fête, couvrir, et caetera, et caetera.

On fit bien d’autres choses encore, cet été-là – et une bonne partie de l’automne aussi… – mais on verra ça demain.