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6 personnes autour d’une table, ovale. 0 – l’ovale –, 3 et 3 – les personnes –, en couples. Agape du soir, avec suite de plats, du terroir, en terre cuite, dans du sel, gros. On essaie de fixer la suite, sans en faire tout un plat, de la suite, mais on ne manque pas de sel, alors chaque 1 met son grain dans la suite qui, du coup, devient tout un plat. Il imaginait qu’il serait 1, pour la suite, mais, destinée ou pas, il y a cinq 1 avec il, et 5 et 1 font six.

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Ma chère Paola,

Les façades de Lisbonne ressemblent à ces cartes postales que l’on reçoit l’été du sud, une esthétique parfaite baignée par un soleil radieux, du linge aux fenêtres, des habitants heureux et des terrasses à leurs pieds. Si l’on est déjà allé dans ces villes, ces images d’Epinal peuvent même réussir à nous faire entendre le son de ces terrasses et à nous faire sentir la cuisine locale. Mais toi qui viens d’un autre sud sais bien que tout cela est factice, ces décors tiennent debout grâce au tourisme et aux capitaux étrangers, quand ils ne tombent pas en ruine…
Fernando voulait m’emmener manger les meilleurs croissants de la ville à la Pastelaria Suiça qui donne sur la place du Rossio, cette célèbre pâtisserie qui a introduit au Portugal les croissants français, installée au coeur du Baixa depuis 1922, une adresse où le tout Lisbonne accourait. Mais l’immeuble a été vendu à un fond de placement étranger, la Pâtisserie suisse a définitivement fermé, portes, vitrines et fenêtres ont été condamnées par des planches en bois blanc, du rez jusqu’au toit, seule une échoppe de thé et de café subsiste encore, son tenancier attend tristement la fin du bail et son expulsion définitive. Ici se prépare une grosse opération immobilière, dans quelques années une adresse de plus pour les touristes, hôtel clinquant, boutiques branchées, et caetera, et caetera, adieu habitants et commerces locaux. Du fronton couvert du Théâtre National Dona Maria II où ils ont trouvé momentanément refuge, les sans domicile fixe assistent à la mutation de leur ville, la confiscation devrait-on dire – ce théâtre néoclassique délimite la place du Rossio au nord, cette place qui à l’image de la ville chasse les habitants pour choyer les touristes. Les façades de Lisbonne sont protégées par des lois qui en font des éléments historiques, mais elles cachent une réalité que le touriste ne voit pas, que le touriste ne veut pas voir, surtout pas sur les cartes postales qu’il achète dans de jolies boutiques qui étaient autrefois des pâtisseries, des boucheries, des épiceries, des librairies, et caetera, et caetera. Tous les habitants ne sont pas encore résignés, nous en avons rencontrés, mais ils sont de plus en plus isolés, leur lutte est épuisante, les investisseurs sont puissants et le gouvernement leur déroule le tapis rouge.
Cette réalité est très triste et nous motive à continuer le combat dans notre ville, avec toi, ma chère Paola, avec vous tous, dès notre retour. Je suis tout de même très heureuse d’être ici avec Fernando; demain nous partons vers le sud en voiture, Fernando espère qu’il reconnaîtra sa terre natale malgré les balafres du tourisme balnéaire.
Nous t’embrassons,

          Mathilde                                   Fernando

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Personne aussi n’a jamais reconnu la ville qu’il avait quittée, forcé qu’il était de suivre sa mère, une veuve remariée à un diplomate qu’on envoya à Durban représenter le Portugal; Personne était alors un petit garçon de cinq ans qui ne reviendrait à Lisbonne qu’à l’âge de dix-sept ans, sans pour autant retrouver sa ville. Alors Fernando, qui est à Lisbonne avec Mathilde, n’est pas étonné de ne pas retrouver la ville dans laquelle il a vécu quelques mois vers l’âge de cinq ans, avec ses parents et deux de ses grands-parents, c’était la période à laquelle les oeillets avaient refleuri au Portugal, juste avant que lui aussi, le petit garçon de cinq ans, parte de Lisbonne, pour la Suisse, une vieille démocratie qui s’était mise à importer des étrangers après avoir longtemps exporté des mercenaires. Il n’est pas étonné Fernando, mais il est triste, et inquiet; s’il ne retrouve pas la ville dans laquelle il a vécu quelques mois à l’âge où les enfants commencent à avoir des souvenirs précis, qu’en sera-t-il de son Algarve natale, ce sud du sud où il veut emmener Mathilde?

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Si les passagers s’appelaient Mathilde et Fernando, on parlerait assurément portugais sur ce bateau, le bateau d’Alberto, ce bateau qui a mis le cap au sud depuis le port de Rotterdam; mais ils s’appellent Heinrika et Gaspard, les passagers, H&G, les passagers, et Mathilde et Fernando sont déjà au sud, dans une ville qui s’appelle Lisboa, alors on ne parle pas portugais sur ce bateau, mais espéranto, mais à Lisbonne ils parlent portugais, Mathilde et Fernando, avec des Lisboètes qui luttent pour leur ville, comme eux luttent dans leur ville où tout a commencé dans une cuisine entourée d’un grand jardin, un matin de janvier.

A l’Yport, cette tour de Babel en plein port de Rotterdam, ils ont commencé à parler en français avec Alberto, H&G. Et puis l’espéranto est venu entre eux trois, comme du bon fils dont on fait de bons liens. C’était une fin d’un après-midi peu avant Noël, ils n’étaient que quatre à l’Yport, ou cinq, si l’on compte Zéphyr qui dormait à l’étage et que l’on entendait soupirer dans son sommeil car la porte en haut de l’escalier était restée ouverte; Alberto était à une table avec H&G, Guenièvre derrière le bar, plongée dans la comptabilité. On causait de la ville et du port, la grande Rotterdam.
– D’où te vient cette connaissance de la ville, Gaspard, tes balades de ces derniers jours t’ont-elles donc tant appris?
– J’ai beaucoup appris ces derniers jours, Alberto, mais jadis j’ai aussi passé un été ici, au temps de mes études. J’étais dingue d’une fille qui parlait espéranto, elle s’était mis en tête de me l’apprendre et de m’emmener au Congrès mondial d’espéranto, c’était fin juillet 1988, à Rotterdam, on est resté jusqu’en octobre.
– Ĉu vi parolas esperanto?
– Mi parolas esperanto.
– Kio, vi du parolas esperanto!
– Oui, je parle espéranto, disent en choeur à Alberto H&G.
Silence. Tous les trois se regardent longuement, ébahis. Gaspard rompt le silence:
– Et vous, comment avez-vous appris l’espéranto?
– L’année de mes huit ans, dit Heinrika, le Congrès mondial a eu lieu à Lucerne, la ville dans laquelle habitait mon parrain. Il était prof. de langues et m’y a emmené. Je me suis prise au jeu, comme souvent les enfants, et je n’ai plus arrêté. Mon parrain m’a abonné à la revue Esperanto, je la reçois toujours.
– Moi c’est mon grand-père, poursuit Alberto, il était ouvrier dans une conserverie de Lisbonne, ouvrier et syndicaliste, il a appris cette langue dans l’espoir de tisser des réseaux par-dessus les mers, sur tous les continents.

Et maintenant, ils filent vers les sud les trois qui parlent espéranto et poursuivent les conversations commencées à l’Yport.
Un matin que l’océan moutonne, il leur raconte Alberto, à H&G, que dans sa famille on lisait Pessoa et qu’on l’a appelé Alberto en hommage à Alberto Caeiro, un des hétéronymes de Pessoa, le préféré de ma mère – savez-vous que Pessoa signifie personne? Comprenez-vous maintenant pourquoi j’ai baptisé mon bateau Fernando&Cie?
Et tandis qu’ils contemplent l’océan qui moutonne et les fait filer vers le sud, Alberto se met à réciter les premiers vers du poème Le gardeur de troupeaux de Caeiro, un des hétéronymes de Personne, le préféré de sa mère.

<<Je n’ai jamais gardé de troupeaux,
Mais c’est tout comme si j’en avais gardé.
Mon âme est comme un berger,
Elle connaît le vent et le soleil
Et elle va guidée par la main des Saisons
Toute à suivre et à regarder.
La paix entière de la Nature sans personne
Vient s’asseoir à côté de moi.
Mais moi je demeure triste comme un coucher de soleil
Selon notre imagination,
Quand l’air fraîchit tout au fond de la plaine
Et que l’on sent que la nuit est entrée
Comme un papillon par la fenêtre.>>

299

Dire qu’il ne reconnaît pas la ville relèverait de l’euphémisme, pourtant les vieilles bornes sont là, elles n’ont pas été déplacées, pas encore: le fleuve, la gare, le marché couvert, sans compter quelques autres qui ne se donnent pas encore à voir, à lui – à eux, puisqu’il n’est pas seul. Pour l’instant ils tournent le dos au fleuve, l’océan ce sera pour plus tard.

Du marché couvert, il ne reconnaît que les murs, ou plutôt les façades. L’intérieur a été entièrement réorganisé, on dirait repensé si on était capable de se mettre dans la logique des entrepreneurs qui l’ont repris, le marché, comme on reprend une adresse pour faire un maximum de blé, sans même payer un pas de porte au meunier qui s’en va Dieu sait où. Certes il reste encore des marchands mais ils ont été rejetés dans les marges de sorte que ceux qui sont venus faire leur marché doivent se frayer un chemin dans ces étroits bords où des curieux affluent, sans rien acheter, avant d’envahir le centre pour se ruer sur des mets soi-disant typiques qu’on leur vend à grand prix et qu’ils mangent debout, serrés comme des sardines dans une huile frelatée.
Un vague espoir le fait gravir le grand escalier, celui de retrouver les bars d’antan où des adultes parlaient à voix basse devant du café ou de l’alcool. A l’étage aussi il ne reconnaît rien, une sorte de maître d’hôtel faussement sympathique est en faction devant une grande porte de verre, il leur demande s’ils ont réservé, ils s’enfuient à toutes jambes.
Dehors ils reprennent leur souffle et se dirigent à pas lents à l’opposé de la foule, ce qui les mène vers de petites rues pas encore répertoriées au monopoly de cette ville. Il reprend peu à peu ses esprits – ils reprennent. Dans une ruelle en pente des voix  attirent leur attention, ils s’arrêtent devant la porte entr’ouverte d’un immeuble par laquelle ils aperçoivent une cour où l’on semble débattre; le silence se fait, ils ont peur qu’on les ait vus et qu’ils soient pris pour des espions; mais le silence est de courte durée, une femme dit d’une voix rauque:
– Si notre immeuble cède toute la rue suivra, et alors, je vous le dis, la ville entière sera perdue.

Il reconnaît enfin la voix de la ville, alors il lui prend la main, pousse la porte à deux battants et ils entrent dans le débat.

Décision : 365 = 365 !…

…voire plus, puisque l’année 2020 – que la rédaction souhaite excellente à chacune et à chacun – sera bissextile.

Synthèse du processus décisionnel collégial
– Ne pas aller au bout sous prétexte que je ne suis pas payé? Ce serait faire le jeu de cette rédaction cynique, esclavagiste, et cætera, et cætera!
– Ne pas aller jusqu’au bout sous prétexte que l’auteur m’a désigné narrateur sans rien me demander? Ce serait faire le jeu de cet écrivain prétentieux qui accepte d’écrire gratuitement sans doute pour être reconnu un jour, et cætera, et cætera!
– Je suis mes deux préopinants, non pas contraint et forcé – ce sont bien eux qui tirent les ficelles –, mais avec la joie de celui qui aime marcher et voyager, et puis j’en connais une qui serait très déçue, voire plus.
[– Tu sais que moi c’est par choix que je te suis, Gaspard?
– Oui, je le sais, Heinrika!] (La radio était sur haut-parleur, la rédaction a donc tout entendu, c’est chou, non)?

La rédaction pousse donc un ouf de soulagement et passe la parole à l’auteur qui écrit gratuitement, au sens propre mais pas figuré.

Il y a encore bien des choses à dire et à écrire, en somme, mais je ne sais pas par quel bout commencer, ni comment m’y prendre exactement, il y a des choses à continuer, des trous à boucher, et cætera, et cætera.
Une solution serait de boucher les blancs, ces jours de 2019 où, pour des raisons qui ne regardent que moi, je n’ai rien envoyé à la rédaction. Début janvier, du 1 au 5, j’ai écrit tous les jours, mais les textes ont d’abord été publiés sur un réseau social – c’estquoicetapp? – puis sur le blog le 6 janvier, en même temps que le sixième texte. Ensuite il y a de vrais trous, des jours sans texte, en janvier le 10, le 14, le 16, le 19 et le 23 (numéro complémentaire).
Je commence par m’engager à combler les trous de janvier aux dates équivalentes de 2020 et, dès le 2 février, je révélerai ma/mes méthode/s pour combler les autres trous de 2019.

– Au 10 janvier, alors.
– Au 10 janvier, alors.
– Au 10 janvier, alors.
– Au 10 janvier, alors.
– Au 10 janvier, alors.
– C’est ça, au 10 janvier !

298 = 365 ?

– ÇA VA CONTINUER, OUI OU NON ? demande un lecteur impatient, et caetera, et caetera.
– On dirait que oui, se risque la lectrice avisée.
– On a juste dit qu’on verrait! tempère la rédaction.
– J’ai mon mot à dire? demande l’auteur.
– Je peux en placer une? s’énerve le narrateur.
Quant à Gaspard, il mettrait bien son grain de sel, mais il vogue vers le sud sur les flots bleus et salés.
– Et au final, ça donne quoi? insiste le lecteur impatient soutenu par la lectrice avisée dont la présence semble avoir un effet bénéfique sur lui.
[…]
La rédaction finit par lâcher:
– Une partie de la réponse se trouve dans le titre, mais pour la bonne forme, nous allons consulter l’auteur et le narrateur, joindre Gaspard par radio sur l’eau salée, prendre le temps de la réflexion puis prendre une décision sous vingt-quatre heures, et ce malgré la trêve des confiseurs, alors à demain.
– Alors à demain.
– Alors à demain.
– Alors à demain.
– Alors à demain.
– Oui, c’est bien ça, à demain.