Noir comme décembre – II
Personne ne l’a jamais vue éclairée cette vitrine qui s’allume quelques minutes avant six heures, ce lundi matin 2 décembre. Rien d’anormal. Il y a quelques jours encore c’était une porte de garage, un grand garage double dans lequel dormaient deux voitures de collection, deux vieilles anglaises, comme leur propriétaire, l’excentrique demoiselle sans âge qui avait atterri là au milieu des années cinquante, acheté l’immeuble, élu domicile au dernier étage, rangé ses joujoux dans le garage.
La demoiselle est morte en septembre, un faire-part l’a annoncé le lendemain d’une cérémonie ayant eu lieu dans la plus stricte intimité. Selon le faire-part, les cendres ont été dispersées à Venise, au large du Lido; la demoiselle appartenait à l’une de ces vieilles familles d’aristocrates pratiquant la villégiature.
Au rez de l’immeuble, sur la façade perpendiculaire à celle où l’on trouve le garage, il y a une agence de pompes funèbres. Longtemps la rumeur a parlé d’une idylle entre la vieille Anglaise et le croque-mort amateur de vieilles anglaises à quatre roues. La rumeur était sans doute fondée, le croque-mort vient d’hériter de l’immeuble, selon le registre foncier. Les huit roues d’outre-Manche ont disparu et, depuis quelques temps, on voyait deux jeunes gens trafiquer dans le garage, deux jeunes gens bien comme il faut.
Vendredi dernier, dernier vendredi de novembre, deux artisans sont venus remplacer la vieille porte du garage par une belle vitrine avec un cadre en bois et une porte assortie, on a alors enfin pu voir l’envers du trafic : un bel espace avec bar, fauteuils, tables basses et tourniquets à journaux. Sur la vitrine on peut lire, dans une belle mise en page – so british – « Ici on peut lire la presse du monde entier, passer du temps et refaire le monde. Le café et le thé sont d’ici, la bière et les croissants aussi, la carafe d’eau est offerte. (Pour les avis mortuaires, prière de s’adresser à nos voisins.) »
Comme on l’a dit plus haut, la vitrine s’allume juste avant six heures ce lundi matin 2 décembre, John et Margaret sont prêts à accueillir les premiers arrivants.
Dans la ville de Mathilde l’association Vivre ici compte une nouvelle adresse et deux nouveaux membres – so british.