Noir comme décembre
VOILÀ
Dans la ville de Mathilde on sent bien que la veillée de Noël aura lieu sous le chapiteau bleu, peu de lecteurs en doutent, quant à la lectrice… Peu importe, pour l’instant c’est le matin, on est chez Mathilde, dans la cuisine, à la table, à l’heure du café avec Paola et Mariella.
– Dites-moi, qu’est-ce qui vous rend si sensibles à l’accueil des autres, pourquoi êtes-vous prêtes à mettre la ville sens dessus dessous pour des gens comme nous? demande Mariella.
– Tu veux dire des humains? s’écrie presque Mathilde.
– Je vais te dire Mariella, enchaîne Paola. Un jour de mars, Mathilde m’a ouvert sa maison, il y avait Rose aussi; cet accueil simple et humain a mis fin à mes années d’errance, j’ai décidé de rester ici et de travailler avec l’association pour créer du lien, pour embellir la vie des gens d’ici. Et Paola de résumer son histoire.
– La maison dans laquelle habitait l’ancienne cliente de Paola, enchaîne Mathilde, cette dame qui lui avait promis de l’aider quoi qu’il arrive, a été rasée en décembre dernier, quelques jours avant Noël, quelques mois après le décès de la dame. Ecoute cette anecdote, Mariella, sans doute te suffira-t-elle à comprendre ma rage d’accueil et ma rogne contre les autorités d’ici.
Un matin de décembre dernier, Gaspard, mon mari ambulant, rentre de sa balade matinale avec un homme inconnu de moi. Il l’installe à cette table, sort deux tasses de l’armoire et refait du café. Il me dit que l’homme est le patron de la petite entreprise à qui l’on a confié la démolition de la maison – je l’ai rencontré tout à l’heure par hasard, dit-il, on a parlé un peu, et il a fondu en larmes en me montrant le permis de démolir délivré par la commune, alors je l’ai invité chez nous. L’homme aux yeux rougis sort de sa poche le papier et me le montre. De ce papier je n’ai lu que deux lignes, celles soulignées en rouge indiquant que le travail devait être fini avant Noël, quoi qu’il arrive, et qu’il fallait prendre toutes les mesures pour éviter les squatteurs. L’homme nous explique alors que dans sa vie de démolisseur il ne voit jamais de squatteurs, juste des humains qui cherchent à se mettre au chaud le temps de quelques nuits, en hiver – des fois je les vois, des fois je ne vois que les cartons qu’ils amènent en guise de matelas et de couvertures dans les villas en cours de démolition.
– Voilà, Mariella, conclut Mathilde, voilà pourquoi je suis prête à mettre la ville sens dessus dessous pour des humains comme vous, avec Paola et tous les gens de bonne volonté.