Plus que 365 jours… (268/365)

Noir comme décembre – I

– La pluie est avec nous, comme le soleil hier, s’exclame le cordonnier, soyez les bienvenus dans mon échoppe!

On ne peut pas dire qu’il y a foule, mais du monde est là, en ce 1er décembre, premier dimanche du mois, et ceux qui entrent sont happés par des bouffées de chaleur et des senteurs mêlées, cuir, pain frais, café, thé aux épices et confitures maison.
Sur les papillons de l’association Vivre ici, au verso du plan imprimé, on trouve 31 dates, 62 événements et une centaine d’adresses. Deux événements par jour, dont certains ayant lieu simultanément à plusieurs endroits, comme on le verra plus tard. Plus tard on verra aussi que certains lieux accueillent différents événements, donc à plusieurs dates.
Le premier de la liste est le cordonnier, membre depuis peu de l’association Vivre iciil offre ce matin un petit déjeuner à tous ceux qui aiment se lever tôt, à tous ceux qui aiment passer un moment en compagnie, partager une réflexion. Ce qu’il aimerait partager en ce dimanche matin, le cordonnier, en plus du petit-déjeuner dont les effluves sortent dans la rue chaque fois que quelqu’un ouvre la porte pour entrer, c’est la rue justement. Sur le papillon, à côté de la date et de l’adresse, on peut lire Quelles rues voulons-nous? 
– Voyez-vous, explique le cordonnier, j’ai repris cette échoppe il y a près de quarante ans, j’envisage de prendre ma retraite, je ne suis pas pressé, mais pour l’instant ceux qui me proposent de reprendre le local n’ont pas de projets qui vont dans le sens d’une rue partagée, d’une rue animée, ils me parlent chiffre d’affaires, heures d’ouvertures, places de parc, mais jamais d’humain. Je crois que cette rue doit rester diverse, vivante, ouverte à tous, ainsi que les autres rues du quartier. C’est grâce Aux Yeux Fertiles que j’ai connu l’association Vivre ici, j’en suis devenu membre actif, je crois qu’il est temps de réfléchir ensemble à l’avenir de nos rues, à l’avenir de notre ville, à notre avenir à tous, en somme.
Des gens applaudissent, on se bouscule pour prendre la parole, les idées fusent et les tartines circulent, les unes et les autres sont généreuses.

Ainsi parle-t-on en ce premier dimanche de décembre dans une rue d’une petite ville, la ville de Mathilde, une ville dans laquelle on verra en décembre certaines vitrines s’allumer plus tôt que d’habitude et d’autres s’éteindre plus tard, ainsi que des fenêtres. L’opération lancée la veille – jour de marché, le dernier marché ensoleillé de novembre – s’intitule Avant l’aube et après le crépuscule : Lumières de décembre.
Tous ces moments ne seront pas rapportés ici, mais un certain nombre.

Plus que 365 jours… (267/365)

Noir comme décembre

On peut avoir de nombreuses raisons d’aimer ou de détester décembre. Moi, c’est le noir.

Rien dans mon enfance ne disqualifie le noir. Dans mes jeunes souvenirs aucun adulte n’a jeté l’anathème sur cette couleur profonde. Aller à l’école en décembre c’était, le matin, passer d’une tache de couleur à l’autre quelques mètres entre deux réverbères – puis s’engouffrer dans le petit chemin, boyau à peine éclairé entre deux charmilles, avant de déboucher sur les dernières taches claires qui nous menaient à bon port. Rentrer de l’école en décembre c’était traîner le plus longtemps possible pour arriver de nuit. Je ne sais plus très bien à quelle heure la cloche sonnait, mais je me souviens parfaitement de ces longues minutes de bonheur passées à attendre le noir au milieu des feuilles mortes, en particulier cet après-midi de décembre, peu avant les vacances d’hiver, une lanterne à la main.
C’était une petite lanterne de rien du tout, une de ces lanternes bricolées à l’école avec du carton noir, du papier vitrail, une bougie à réchaud et un fin fil de fer, à l’aide de ciseaux, de colle et d’un poinçon. Où avais-je chipé les allumettes? ou étais-je déjà petit louveteau? je ne m’en souviens plus, toujours est-il que j’ai attendu la nuit pour essayer la lanterne que j’allais offrir à celle qui me laissait traîner sur le chemin de l’école avec toute sa confiance. Et comme elle marchait bien, ma lanterne, elle a fait le reste du chemin avec moi et c’est allumée et avec quelques jours d’avance que je te l’ai offerte; t’en souviens-tu, Maman?

Décembre est noir et je l’aime passionnément.