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Novembre est une fleur flammes – XVII

Le premier fragment (A1) est donc tiré d’un cahier qui vogue sur le Rhin, avec un bateau.

Ils n’ont eu aucune peine à trouver Le Popeye dans le port de Cologne, un navire pourtant miniature – deux ponts et six cabines. Dès l’entrée des bassins leur regard est attiré par un fougueux bateau rouge et noir tendant désespérément ses amarres, comme un vigoureux terre-neuve tirerait sur sa laisse pour sauter à l’eau. Deux hommes sont en train de charger le bateau, ils s’approchent; celui qui ressemble à un capitaine – il est de méchante humeur – le dévisage et demande rudement:
– C’est vous Gaspard?
– Oui, fait-il.
– C’est le moment, on va appareiller, je ne vous attendais plus! Et vous allez faire quoi à Amsterdam?
Il ne sait que répondre et se demande comment dire qu’il doit encore repasser dans un appartement, refaire un lit et rendre des clés à un cafetier turc. Sans le savoir, l’autre homme fait paratonnerre:
– Mais Pablo, j’vais au dentiste, tu sais bien, on avait dit qu’on larguait au crépuscule, portés par la brise du soir, les cordages.
– Fredo, tu es vraiment un bachibouzouk analphabète asyntactique! s’entend-il répondre.
Il va continuer à gueuler – sans doute des trucs du genre mille millions de mille sabords, bougre de faux jeton à la sauce tartare, coloquinte à la graisse de hérisson, espèce de mérinos mal peigné, Cyrano à quatre pattes, zouave interplanétaire, ectoplasme à roulettes, bougre d’extrait de cornichon, jus de poubelle, et caetera, et caetera – mais il aperçoit enfin Heinrika, s’approche, s’incline pour le baise-main, se redresse et dit avec cérémonie:
– Mes hommages, Bianca!
– Heinrika! s’entend-il répondre.
Ils aident à finir de charger et se retrouvent à bord. Ils s’installent dans leur cabine, sur le pont supérieur, et redescendent. Sur le pont inférieur se trouve une grande cabine qui fait office de séjour-cuisine. Après le lunch, Fredo prend un des vélos accrochés au bastingage et s’éloigne en disant j’file au dentiste –bachibouzouk analphabète asyntactique! s’entend-il répondre. Le capitaine s’excuse et explique à H&G que Fredo, il ne sait ni lire ni écrire, s’exprime bizarrement mais se paie des dents en or, par vice ou peut-être pour compenser un manque de l’enfance, et que ça l’énerve ce truc de nouveau riche dans la bouche de ce faux Cyrano. Tandis que le capitaine – que nous appellerons dorénavant Pablo – recharge sa vapoteuse pour finir de se calmer, Heinrika fait comprendre à Gaspard qu’elle s’occupe de Pablo pendant que lui va aux clefs. Gaspard décroche alors la deuxième bicyclette et file direction le quartier belge. Pablo interroge Heinrika du regard, elle lui répond:
– Des fois il se prend pour Poulidor, son vice à lui c’est l’argent, un truc lié à l’enfance.

Lorsque Gaspard revient, le bateau ne vogue toujours pas; il trouve Heinrika et Pablo penchés sur un cahier, à la grande table de la cabine-séjour; il leur demande si Fredo est déjà arrivé.
On ne lui répond rien, le silence est d’or.