Plus que 365 jours… (241/365)

Novembre est une fleur flammes – II

Les voilà donc en train d’escorter une bande de gamins masqués dans un joyeux tintamarre nocturne.

Les sacs et les petits paniers des diablotins sont maintenant pleins à ras bord et une nuit d’encre les entoure. Heinrika et Gaspard se sentent soudain  le devoir de raccompagner les angelots dans leurs foyers, mais des ombres surgissent des rues et des jardins, des grands-frères, des parents, des voisins. A la fourche d’une rue, un homme s’approche d’eux:
– Vous êtes Heinrinka et Gaspard ? Monika m’a téléphoné tout à l’heure pour annoncer votre arrivée, soyez-les bienvenus!
Evi, la petite sorcière de sept ans, attrape la main droite de Gaspard et la main gauche d’Heinrika, Leo, du haut de ses dix ans, ouvre la marche comme le font les pères fouettards, son bâton dans la main gauche, la main de son père dans la droite.
La maison est à deux pas de la fourche; un petit portail  entouré de deux jeunes peupliers, une allée de gravier, six marches et une vieille porte en bois en haut du perron. Malgré la faible lueur de la lanterne, le père perçoit leur surprise lorsqu’il sort la clé pour ouvrir:
– Personne ne nous attend, Elga est morte voilà trois ans.
Le chaud les accueille, avec une bonne odeur de chou.
La cuisine est grande, avec une table à sa mesure. A côté des cinq couverts qu’on y a dressés, on voit des guirlandes de fleurs en cours de confection. Les enfant vident les petits sacs qu’ils portaient en bandoulière à côté de la pelote de ficelle.
– Belle récolte, se réjouit le père, bravo mes enfants!
– On a planté ces fleurs à la mort de Maman, dit Evi, chaque année on fait des guirlandes qu’on amène au cimetière, son cimetière à elle, ajoute-t-elle en regardant son papa qui lui sourit pour acquiescer.
– On vous racontera plus tard, maintenant on passe à table!
On se régale d’un gros chou farci et de belles pommes de terre.
– Tout est du jardin, dit Leo fièrement, sauf la viande, elle vient de chez Gustav, notre oncle, vous le verrez demain.
Après la mousse au chocolat – avec les oeufs de nos poules, a précisé Evi –, on reste à table mais on se déplace côté guirlandes. Gaspard et Heinrika admirent la dextérité du père et de ses enfants, ils intercalent entre les fleurs des noix, des bonbons et des chocolats.
– On enlève les papiers à cause des poissons, c’est pas bon pour eux, précise Leo.
Ils ne posent aucune question et admirent les trois ouvriers qui agitent leurs doigts en parlant de leur chère disparue.
– C’est Maman qui nous a appris à parler des morts, dit Evi, elle disait qu’il fallait continuer à les faire vivre du mieux qu’on peut, en se souvenant des belles choses.
– Des fois c’est dur, ajoute Leo, même si des belles choses avec Maman y en a eu plein.
– Voilà, les enfants, c’est l’heure.
Les trois se lèvent et vont suspendre les guirlandes à l’une des fenêtres de la cuisine, la plus éloignée de la cheminée où le feu meurt mais continue à les réchauffer.