Octobre est un foyard – XXIX
La pluie les abandonne à l’entrée d’un cimetière, en fin de matinée.
– Rassurez-vous, leur dit-elle, on se reverra, maintenant je file au sud, il paraît qu’on a besoin de moi.
Ils entrent dans ce petit cimetière du bord du Rhin qui ressemble à certains cimetières de chez eux, ces cimetières où l’on commence à voir des herbes folles, des dalles moussues et parfois des moutons; on veut donner à ces espaces une autre dimension, un jardin pour les morts autant que pour les vivants.
Il y a dans celui-ci une tonnelle surmontée d’un épaisse glycine qui a protégé de la pluie les quelques tables et bancs qui s’y trouvent. A l’une de ces tables des hommes jouent aux cartes, ils doivent être avec ces femmes qui bichonnent les tombes en vue de la Toussaint, se disent Heinrika et Gaspard. Lorsque les femmes les rejoignent, au loin il sonne midi, les hommes sortent le casse-croûte. Heinrika et Gaspard qui hésitaient à la faire ne se gênent plus.
– Moritz, dit une des femmes, tu as encore oublié le tire-bouchon! C’est ton pré-alzheimer ou l’approche du jugement dernier qui te pousse à l’abstinence?
Eclats de rire, contagieux; Gaspard s’approche pour proposer son couteau suisse.
– Buvez-donc un verre avec nous, leur dit-on, ou plutôt non, venez à notre table et mangez avec nous, on va se serrer un peu.
On partage les victuailles et le vin rouge, on fait revivre les morts en parlant d’eux et les sons de la vie repeuplent le cimetière. On questionne Heinrika et Gaspard, ils disent d’où ils viennent, ils disent où ils vont. On leur donne des adresses où ils pourront dormir chez l’habitant avant l’arrivée à Cologne, la famille, des amis ou des connaissances.
Ils arrivent dans le village à la tombée de la nuit; des enfants surgissent de la rue principale et leur tombent dessus, « des bonbons ou un sort! » leur crient-ils. Ils n’ont que des noix à proposer, ramassées le long du chemin, les enfants les acceptent avec joie. Ils en profitent pour demander aux petits sorciers s’ils connaissent la rue du Four, ils cherchent le numéro 4.
– Mais c’est chez nous, s’exclament deux enfants – une petite sorcière et un grand père fouettard – suivez-nous!
Et les voilà en train d’escorter une bande de gamins masqués dans un joyeux tintamarre nocturne.