Octobre est un foyard – XXVIII
Ils ont donc passé quelques jours à Koblenz et les voilà repartis. A pied.
La veille de leur départ, on improvise une petite fête à la pension, on soupe, on raconte des histoires, on chante et on se dit au-revoir, car ils partiront tôt. Le capitaine est triste, il ne pourra plus leur apporter le plateau du petit-déjeuner, comme il en avait pris l’habitude le second matin.
Lorsqu’ils se lèvent, il fait encore nuit noire, à tâtons ils s’habillent, prennent leurs affaires, allument brièvement pour vérifier qu’ils n’oublient rien et pour regarder une dernière fois la chambre, leur première chambre. En bas, ils se chaussent, enfilent leur veste puis sortent et referment avec la clé qu’ils cachent à l’endroit convenu. Une odeur de tabac les accueille, c’est le capitaine avec bottes, caban et casquette qui fume en les attendant sous la pluie qui s’est aussi levée pour faire un bout de route avec eux – Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous laisser partir comme ça ! Et ils s’enfoncent de conserve dans le petit jour timide qui se dispute avec la pluie.
Ils remontent le Rhin au lieu de le descendre. La veille, ils voulaient prendre congé de Gudrun et de Franz, mais l’auberge était fermée – Ruhetag –, alors ils reviennent. L’auberge est toujours fermée mais il y a de la lumière à la cuisine, ils frappent, on leur ouvre. Gudrun et Franz boivent le café et planifient les jours à venir, ils auront du monde pour la Toussaint. On est heureux de se revoir, on présente Archibald, Franz sort un instant et réapparaît avec des croissants, on déjeune, on devise joyeusement, chacun évoque ses projets. Lorsque Gudrun se lève pour refaire du café, Archibald a un déclic – Dans la cambuse de mon bateau, mon premier bateau de capitaine, j’exigeais qu’il y ait du café brûlant pour tout l’équipage, nuit et jour… Avec doigté, Heinrika l’interrompt:
– Nous avons du chemin devant nous, on vous laisse avec Archibald, vous verrez, ses histoires de cuisine sont les plus belles du monde.
Embrassades, accolades, larmes salées, et caetera, et caetera.
Ils descendent maintenant le Rhin, côte à côte, en silence, pour mieux écouter les variations de la pluie, sur le bitume, sur le gravier, sur la terre battue et sur le Rhin. Quoi de plus doux que le murmure de l’eau quand elle retrouve une camarade de route?