Septembre est une jardinière de prunes – XXV
Jamais une femme n’a fait pssst à Gaspard après l’avoir croisé, du moins ne s’en souvient-il pas, mais il est vrai que Gaspard est souvent dans la lune; avec Mathilde, l’histoire a commencé tout à fait autrement. Alors neuf femmes d’un coup, sur une berge, entre chien et loup, il y a de quoi frissonner, et il frissonne Gaspard, face à ces neuf femmes voilées qui ont immédiatement cessé de faire pssst une fois qu’il s’est arrêté et leur a fait face; leur silence est plus impressionnant encore. Il scrute leurs yeux dans la nuit qui s’installe, des amandes qui brillent dans les fentes des niqabs; aucune amertume mais de la bienveillance, des regards presque rieurs qui semblent dire aie confiance! Il ne recule pas quand elles approchent, elles font cercle autour de lui, lui tournent littéralement autour en faisant des pas chassés, de loin on pourrait croire à une danse, une danse lente en neuf mouvements; chaque fois qu’une femme est face à Gaspard, elle s’arrête, dit quelque chose et le mouvement reprend; seule la neuvième ne dit rien, ses prunelles dardent Gaspard, comme pour vérifier qu’il a bien saisi le message. Gaspard est resté muet, serein, concentré et son visage s’est allumé après la huitième femme – Gaspard est souvent dans la lune –, la neuvième a vu ce qu’elle voulait voir. La ronde reprend, sans arrêt, sans mot prononcé; un tour, deux tours, arrêt. La neuvième femme se trouve à nouveau face à Gaspard et de sa bouche sort un autre son: pschitt! A ce son, les neufs femmes se regroupent et reprennent gaiement le chemin d’Eltville, vers l’amont.
Fasciné, Gaspard les regarde s’éloigner comme on admire des étourneaux danser et babiller dans le ciel d’automne. Lorsqu’il ne les voit plus et que leur joyeuse rumeur n’est plus qu’un songe, il se hâte vers l’aval. Dans sa tête des mots dansent par groupes de trois, Burghotel in Lorch.