Plus que 365 jours… (203/365)

Septembre est une jardinière de prunes – XX

Elle s’est procuré une carte topographique et décide d’emprunter le Theodor-Heuss-Brücke pour gagner la rive droite qu’elle suivra jusqu’à Eltville où elle a décidé de faire étape; à peine quatre heures de marche, une balade de santé. Mais elle se rend vite compte, celle qui pose une piste le long du Rhin, que le jeu ne sera pas si aisé qu’elle l’avait imaginé.
Sur les berges du Rhin, en ce dernier dimanche d’été – demain c’est l’équinoxe, à 9h50 –, on dirait que tout le monde s’est donné rendez-vous: familles avec ou sans roulettes, promeneurs avec ou sans quatre pattes, couples confirmés avec ou sans fougue – les plus jeunes sont encore dans les plumes à heure qu’il est –, et caetera, et caetera. Elle doit donc agir sous le regard des autres, Heinrika, en espérant qu’ils n’effaceront pas les traces qu’elle laisse. Dans un bosquet le long du Rhin, elle a trouvé du bois mort qu’elle a taillé en bâtonnets, elle a aussi dans sa poche une craie qu’elle a chipée en quittant l’auberge, la craie avec laquelle on écrit les menus sur les ardoises.
Sur un banc, un vieux et son chien la regardent passer; le vieux n’est pas laid mais elle n’aime pas la façon dont il la regarde, de la tête au pied, quant au chien, il bave abondamment, un morceau de bois dans la gueule; au gravé sur le bâton, elle reconnaît un indice laissé pour Gaspard; méchant chien! Plus loin, tandis qu’elle termine de tracer au sol H&G, bondit d’un autre banc une barbie-joggeuse qui se reposait; avec sa bouteille de contrex elle asperge la trace blanche et insulte copieusement Heinrika, c’est à cause de touristes comme vous que nos villes sont si sales! Elle encaisse avec un sourire poli, reprend son cheminement sur la berge et jette ostensiblement les bâtonnets et la craie dans le fleuve.
Chemin faisant, elle se demande comment communiquer avec Gaspard, le jeu commence à ne plus l’amuser. Découragée, elle s’arrête sur un autre banc et pique-nique sans appétit. Sa bonne humeur revient un peu lorsqu’elle voit arriver un couple qui ne lui est pas inconnu, le vieux beau et la joggeuse, bras dessus, bras dessous, le chien de race baveux ouvrant la marche, méchant chien! Tout dit l’amour dans ce couple, la maquillage sophistiqué de la fille, le training et les chaussures de marque, le sourire béat du vieux, ses habits élégants et son joli chapeau qui le fait sembler moins petit à côté de l’élancée buveuse de flotte. Après le couple improbable, elle voit arriver un jeune-homme, du genre Ken; comme si de rien n’était, il entre dans un bosquet, en ressort nu et plonge dans le Rhin. Sa bonne humeur progresse, elle songe à prendre les habits de l’Apollon, avec elle, sur le banc, histoire de contempler de plus près l’adonis nu et mouillé; elle pourra toujours prétexter qu’elle a sauvé les habits d’un chien qui faisait mine de lever la patte dans le bosquet, méchant chien! Mais elle ne le fait pas, car une autre idée lui vient en voyant l’homme nu batifoler dans le Rhin.
Oui, c’est ça, l’histoire du Chat botté, communiquer avec Gaspard non pas par signes ou par indices laissés le long du chemin, mais avec des paroles, tout simplement! Comme le chat botté, avertir les gens du passage de Gaspard et demander à ces gens de lui parler d’elle, de lui dire, à Gaspard, où Heinrika l’attend.

Sa bonne humeur est définitivement de retour, le jeu reprend, plus pimenté, gentil chat!