Plus que 365 jours… (164/365)

Août rougeoie – XII
Lieux et dialogues de l’été – XI
Banc-s (suite)

La jardin s’éclaircit  peu à peu. Des bancs sont à nouveau déplacés et retrouvent les recoins qu’ils occupent habituellement. Sur certains de ces bancs des conversations reprennent, feutrées. A côté d’un feu en train de mourir dans une vasque en fer, une dame âgée parle à Mathilde:

– J’aime votre jardin, Madame, j’aime son intimité, le confort de ses bancs, les gens qu’on y rencontre, la simplicité de votre accueil. Dans le quartier où j’habite, il y a devant les barres d’immeubles une magnifique esplanade d’où l’on domine le lac et les montagnes. J’ai passé beaucoup de temps sur les six bancs de cette terrasse, mais je n’y vais plus guère car on les a enlevés et mes jambes ne sont plus toute jeunes. C’est à cause des vandales, a dit la gérance lorsque j’ai téléphoné, mais a-t-on le droit de faire cela sans rien demander à personne? Ces jeunes ne m’effrayaient pas, au contraire, et lorsqu’ils faisaient trop de bruit, ou qu’ils squattaient tous les bancs, je leur parlais et on trouvait toujours un terrain d’entente. Une fois ou l’autre j’ai bien eu droit à quelques noms d’oiseaux – vieille chouette, sale vieille, Tatie Danielle –, rien de bien méchant, et je ne suis pas en sucre, heureusement pour mon diabète! Les soirs de premier août, le quartier était en fête. A la nuit tombée, on grimpait tous sur le toit de l’immeuble central – un immeuble de huit étages – pour admirer les feux d’artifice, de Lausanne aux pieds du Jura. Mais la gérance a condamné l’accès au toit, toujours à cause des vandales… C’est si dommage que seuls quelques vieux comme moi parlent à ces jeunes que tout le monde ignore. Est-ce de la peur, un refus d’être d’adultes, le manque de temps? Je ne sais pas, mais il manque du lien dans ce quartier. Certaines nuits, je fais des rêves très doux: je fume des joints sur les six bancs avec soixante-sept ados, un éducateur soixante-huitard, vieux mais beau, rapplique, nous gronde puis, sans transition, je finis avec lui sur le toit, au septième ciel. D’autres nuits, je fais d’affreux cauchemars: les gens de la gérance, ces vandales, nous informent que le quartier va être entièrement rasé.

Mathilde a un frisson et remet une bûche dans le feu.