Plus que 365 jours… (159/365)

Août rougeoie – VII
Lieux et dialogues de l’été – VI
Le café (suite)

– Hier soir, poursuit Oskar, j’étais au village pour les festivités du 1er août. Le discours du syndic m’a ulcéré. Malgré mon âge – j’aurai 83 ans en décembre –, je garde espoir que le monde devienne meilleur, que citoyens et politiques travaillent dans ce sens, ensemble. Les défis sont nombreux et seule l’union nous permettra de les relever. Hier notre syndic s’est surpassé, au nom des valeurs des Waldstätten – il parlait comme s’il les avait connus personnellement  –, il a prôné, une fois de plus, l’alleingang. Je ne suis pas le seul à avoir compris que notre cher syndic, conseiller national qui brigue un nouveau mandat aux élections fédérales de cet automne, a en fait lancé sa campagne électorale. Nous avons été bien peu nombreux à nous lever pour quitter ostensiblement la fête après ces mots qui, sous couvert de patriotisme et d’histoire, ont fait l’apologie de la division, de l’intolérance et de la fermeture. Je ne supporte plus ces fêtes nationales qui divisent au lieu de rassembler. Cette nuit je n’ai pas fermé l’oeil et ce matin j’ai eu besoin de prendre de la hauteur; je suis heureux de vous trouver là, mes amis, merci Louise de continuer à guider ta grand-mère vers les sommets, même si nos sommets sont bien modestes dans cette région de la Suisse.

Gaspard semble avoir envie de prendre la parole et tous l’y encouragent, d’un regard, d’un sourire ou d’un geste.

– Cet hiver, j’ai passé deux mois sur un alpage jurassien, un modeste pâturage à l’image de celui du serment des trois premiers Confédérés. Au début des années trente, un couple qui fuyait le nazisme a trouvé refuge dans ce lieu à l’abandon depuis les années vingt. A l’occasion de la naissance de leur premier enfant, ce couple est entré en lien avec les habitants de la commune où se trouvait cet alpage; les habitants ont pris cette famille sous leur protection, malgré les risques qu’ils encouraient, et ont décidé, dès le premier été de cette histoire, de fêter le 1er août sur cet alpage. Depuis huitante cinq-ans, plus que votre âge Oskar, cette commune jurassienne invite tous ses habitants pour un banquet sur l’alpage, pas de feux d’artifice mais un immense feu de joie, pas de discours mais un rappel de l’histoire de ces réfugiés, leurs réfugiés. Les descendants de ce couple habitent toujours la commune, commune restée fidèle à ses valeurs d’accueil et de modernité. Ses citoyens sont à la pointe des nombreux défis de notre second millénaire et n’hésitent pas à combattre pour porter ces valeurs dans leur canton et dans notre Confédération.

– Rendez-vous sur cet alpage l’an prochain, s’écrie Oskar, et en attendant, allons dîner dans mon jardin; je n’ai pas dormi, donc pas dîné!