Plus que 365 jours… (156/365)

Août rougeoie – IV
Lieux et dialogues de l’été – III
Le feu

L’été studieux de Gaspard se poursuit, il suit scrupuleusement le fil du Rhin qui ressemble à une grosse corde aux couleurs changeantes, dessine, écrit et tente de répondre aux questions qu’il a notées dans son carnet; souvent ce ne sont pas des réponses qui viennent, mais d’autres questions, qu’il note dans son carnet ou pas.
Mais c’est la première question, celle qui en a amené d’autres, qui le taraude le plus – où se situe la limite entre le brouillard et les nuages? Il est convaincu qu’il faut chercher à voir cette limite et que la montagne reste le lieu privilégié pour l’apercevoir. Toutefois, en cheminant au fil du Rhin, il a quitté les Alpes, Gaspard, et les crêtes qu’il voit maintenant vibrer dans la chaleur de l’été sont bien plus modestes, on est à la fin du Jura, du côté de la Suisse orientale. En regardant ces modestes hauteurs depuis le Rhin, son fil de l’été, Gaspard voit flotter des tissus rouges et blancs et, au fil des drapeaux qui flottent, il se souvient qu’août débute. Alors il se dit, lui qui a toujours aimé les feux sur les crêtes, qu’il va grimper sur l’une d’elles – tant pis pour sa modestie – et allumer un feu, en solitaire. Il quitte alors le fil du Rhin pour prendre un peu de hauteur et monte en se réjouissant des flammes qui éclaireront sa veillée d’éclaireur solitaire. En tandis qu’il monte en se réjouissant des flammes, des images lui viennent dans la tête, des tableaux aux couleurs chaudes, des tableaux dont on reconnaît bien le sujet – une montagne, un arbre en automne, un village aux toits pointus – mais qui se brouillent suivant la manière dont on les regarde. Gaspard a vu ces tableaux dans des livres, sur l’alpage jurassien et dans un appartement bâlois – chez deux fifres – et pour lui ces tableaux ressemblent à du feu: il y a du pointu, du chaud et des vibrations, comme dans les flammes qu’il se réjouit d’allumer tout à l’heure. Ces tableaux sont de Christian Rohlfs, considéré en son temps comme artiste dégénéré.
En arrivant sur la modeste hauteur d’où il voit le fil du Rhin, son fil de l’été, Gaspard remarque un empilement de bois, un feu prêt à être allumé et une réserve de bois pour alimenter ce qui sera sans doute un feu de 1er août, un feu de crête comme il les aime. Il pourrait être déçu, Gaspard, de ne pas avoir sa veillée d’éclaireur solitaire, il pourrait avoir envie d’aller plus loin, mais il reste là à attendre, convaincu qu’il y aura des choses à partager autour de ce foyer où il ne sera pas seul.