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Trompettes de juillet – X

Dans la librairie en train de devenir bien plus qu’une librairie – pourtant qu’est-ce que c’est déjà bien une librairie! – dans ce lieu en mutation, en construction, Marguerite a décidé de privilégier un certain nombre de thèmes en lien avec les objectifs de l’association Vivre ici. On trouve donc des livres en lien avec la marche. Ce donc peut éventuellement surprendre, pas la fidèle lectrice, ni le fidèle lecteur, mais ceux qui n’auraient pas compris qu’on marche aussi à l’ouest de Gaspard, Gaspard qui, notons-le en passant, ne fait pas que marcher, mais prend plaisir à s’arrêter, pour toutes sortes de raisons; ce n’est pas Heinrika qui dira le contraire.

Dans la librairie en train de devenir bien plus qu’une librairie – pourtant qu’est-ce que c’est déjà bien une librairie! – dans ce lieu en mutation, en construction, il y a donc aussi un plan en construction, parce que l’on marche aussi à l’ouest de Gaspard, parce que l’on veut mettre en marche les gens et parce que l’on souhaite que ces humains qui marchent complètent le plan, ce plan géant en construction, ce plan que l’on voit depuis la rue par la vitrine de Marguerite, ce plan sur lequel on voit la rue depuis laquelle on le voit, ce plan sur lequel on repère facilement le bâtiment qui a une vitrine par laquelle on le voit.

Pour qu’un plan soit plan, pour qu’il fasse son office, il lui faut différentes choses: un titre, une échelle – pas n’importe laquelle, sinon c’est une carte –, une légende, etc. Mais laissons cela de côté, pour l’instant. Parfois, lorsqu’un plan a tout ce qu’il lui faut pour être un plan, il ne fait malgré tout pas son office, certains vont jusqu’à dire qu’il est illisible, mais savent-ils lire? Mais Marguerite a anticipé, car Marguerite est du genre à transformer quiconque en bon lecteur et Marguerite sait bien qu’un plan ça se lit, comme une invitation. Alors Marguerite a tiré d’un livre un extrait qu’elle a recopié sur le plan, de sa belle écriture, à hauteur d’yeux comme on dit, comme pour inviter le passant à lire, même celui qui ne lit pas, même celui qui dit qu’il ne sait pas lire un plan. Ce livre est en vente chez Marguerite, il a pour titre Marcher, une philosophie, il a pour auteur Frédéric Gros. Aux pages 227 et 228 de ce livre – éditions carnetsnord, Paris 2009 – Marguerite a recopié l’extrait suivant:

Il faudrait se donner ce luxe, inouï et facile, de se promener dans son propre quartier, d’y marcher d’un pas incertain, hésitant, de décider de le parcourir pour rien, les yeux levés enfin, et lentement. C’est alors que le prodige survient. Et de seulement marcher, sans courir, sans se donner aucune mission précise, fait ressentir la ville telle un peu qu’elle est donnée à celui qui la voit pour la première fois. Comme on ne fait attention à rien de particulier, tout est offert à foison: les couleurs, les détails, les formes, les aspects. La promenade, de marcher solitairement et sans but, fait retrouver cette vision: je vois la couleur des volets ici et quelle tache de couleur cela fait sur les murs, je vois les arabesques délicates de longues grilles noires, je vois la bizarrerie de maisons absolument allongées comme des girafes de pierre et d’autres aplaties, larges comme des tortues grasses, je vois la composition des vitrines, je vois, quand je marche au couchant, des façades bleu-gris et des fenêtres orange. J’effeuille ainsi longtemps les rues.