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Trompettes de juillet – VI

Et si les vers étaient dans l’eau? se dit Gaspard qui marche toujours le long du Rhin mais qui est parfois las, las du Rhin mais aussi des muscles de la nuque à force d’avoir toujours la tête dans les nuages, donc aussi les yeux et le nez; certes il pourrait se coucher Gaspard, étendre ses reins sur la berge, prendre un peu congé du fleuve et regarder les nuages tout son saoul tout en reposant les muscles qu’il a las – et chanter, pourquoi pas? –, mais comment avancer couché le long du Rhin sans faire la planche? Car il faut qu’il avance Gaspard, il n’est pas encore à Riga. Peut-on faire la planche sur le Rhin avec un sac à dos qui du coup serait à ventre? Certes il fait chaud, mais il n’essaie pas Gaspard, non pas qu’il nage mal, non pas qu’il n’aime pas l’eau, ce serait plutôt la peur du grotesque. En projetant son image de lui dans l’eau du Rhin en train de faire la planche, Gaspard, il supporte l’idée que son ventre qui n’est pas plat émerge du fleuve et que cette matière grasse puisse devenir matière à rire pour d’éventuels spectateurs – il croise régulièrement des promeneurs, des amoureux, des vieux couples silencieux pour d’autres raisons que les amoureux, des randonneurs, des militaires, des bonnes soeurs et aliis – mais il ne supporte pas, Gaspard, l’idée que l’on puisse lui crier depuis les berges une réplique du genre: « Eh mon gros! pourquoi tu as deux sacs, tu fais de la contrebande? » [L.e.a lect.eur.rice se souvient que le Rhin est l’une des frontières naturelles entre la  Suisse et plusieurs de ses voisins; le terme naturel est évidemment impropre, car d’une part une frontière est un fait sociologique, ce n’est pas une abeille, ni un ours qui vous dira le contraire – l.e.a lect.eur.rice doit savoir qu’il existe des sociétés animales – et d’autre part le Rhin est pollué.]
Alors, pour se reposer les muscles qu’il a las sans se poser sur une berge du Rhin ni faire la planche et flotter sur ses reins avec deux sacs ventraux, il cherche ailleurs, Gaspard, et il baisse la tête, pour faire travailler autrement les muscles qu’il a las, et en baissant la tête, qu’est-ce qu’il voit le Gaspard? et bien le Rhin, donc de l’eau!

– Et alors? s’exclame l.e.a lect.eur.rice qui s’accroche – comme on s’accroche à une bouée pour ne pas perdre pied, ou le fil – pour suivre ce texte qui parle Gaspard qui suit le Rhin en cherchant des vers qu’il a perdus.
– Comment, lect.eur.rice, tu ne vois pas ? Mais l’eau du Rhin elle vient du ciel, directement – la pluie, la neige –, indirectement – les sources, les glaciers qui sont d’immenses stocks d’eau. Et où il va le Rhin? A la mer! Et où qu’elle va la mer? Dans le ciel, parce qu’elle s’évapore, comme l’eau. Et ça fait quoi l’eau qui s’évapore? Des nuages, pardi! [On est prié de ne pas confondre pardi avec paradis, même s’il est question de nuages, pardi!]

Maintenant que chaque lect.eur.rice – du moins ceux qui n’ont pas coulé, ceux qui ne sont pas las de ces flots de mots, donc ceux qui sont encore là – a repris conscience du cycle de l’eau (programme de 5ème, respectivement 7ème harmos, cf. PER), on comprend pourquoi il n’est pas stupide que Gaspard – qui a passé son bac sans faire la planche – cherche dans l’eau du Rhin les vers qu’il a perdus, sans canne à pêche ni cannes anglaises, mais en marchant sans chanter. CQFD

Le fleuve Mogami
rassemblant la pluie de mai
est encore plus rapide

Matsuo Bashō