Trompettes de juillet – IV
Le temps d’un été, dessiner – devoir de vacances –, avant Riga, avant Heinrika.
Au rythme des vers, Gaspard marche le long du Rhin, la tête dans les nuages.
Les nuages de l’enfance, ce temps où les vers entraient si facilement dans sa tête, sa tête qui entrait si facilement dans les nuages, mais sans que les nuages y entrent, dans sa tête; il n’y avait pas encore ces jours de brouillard dans la tête.
[Gaspard s’arrête un instant, sort son carnet et y note dans un coin, comme on note sur un brouillon: trouver la limite entre le brouillard et les nuages, la cerner avec des traits, avec des mots.]
Les nuages d’adulte, ceux qu’il voit dans le ciel quand il lève le nez, comme quand on cherche quelque chose. Comme il a l’âge auquel on a parfois du brouillard dans la tête – selon l’humeur, selon la météo –, des vers sont perdus dans sa tête, alors il lève les yeux au ciel, donc aussi le nez, et cherche dans les nuages les vers perdus dans le brouillard de sa tête; il cerne mal la limite entre le brouillard et les nuages, il le sait bien, d’ailleurs il a noté dans son carnet qu’il devait travailler à cela, trouver la limite; il l’a noté pour ne pas l’oublier, car sa tête est aussi remplie de brouillons, toutes sortes de brouillons.
[Gaspard s’arrête encore un instant, sort à nouveau son carnet et y note dans un autre coin, comme on note quelque chose dans un coin de sa tête:
– le brouillard et les nuages sont-ils des humeurs du ciel?
– chercher les liens qui existent entre le brouillard et le brouillon].
En levant les yeux au ciel, et donc aussi le nez, il est rare que Gaspard retrouve les vers qu’il cherche dans les nuages, alors il n’y a que des nuages, comme sur certains dessins qu’il faisait enfant, quand les vers lui entraient si facilement dans la tête qu’il avait si facilement dans les nuages. Tout cela lui revient, mais sans les vers; alors il s’arrête pour de bon, sort son carnet et dessine les nuages qu’il voit sans les vers.
[Il écrit aussi dans les marges de son carnet:
le brouillard qui est entré dans ma tête a-t-il fait sortir les vers ou ne fait-il que les cacher? Dois-je lever les yeux au ciel, et le nez, seulement pour dessiner les nuages ou aussi pour chercher les vers? Où sont les vers?]
Chemin faisant, Gaspard fait aussi ses devoirs de vacances et, dans sa tête, des réponses se forment et dissipent peu à peu le brouillard autour des questions qu’il a notées dans son carnet. Des traits, des mots.
Nuages de brouillard
faisant de leur mieux rapidement pour montrer
cent scènes
Matsuo Bashō