Plus que 365 jours… (152/365)

Trompettes de juillet – XI

Raffella n’hésita pas une seconde à accepter que le bâtiment rectangle, tout en longueur, siège de l’association Femmes Solidaires Sans Frontières qu’elle présidait, figure sur le plan géant que l’on apercevait par la vitrine des Yeux Fertiles, ce lieu en mutation. La demande émanait de Marguerite et Paola qui avaient décidé de mettre leur été à profit pour un tissage d’un genre particulier, d’un genre très beau – peut-être le plus beau car invisible – le tissage de liens humains.

En cette après-midi de fin juillet, on voit donc Marguerite et Paola entrer dans la ruelle où se trouve le bâtiment de l’association des femmes solidaires. A travers la vitrine – ce bâtiment était autrefois le siège d’activités commerciales – Paola reconnaît la femme qui l’a prise par la main en la croyant perdue, elle est en compagnie d’une femme âgée mais alerte. La femme leur fait signe d’entrer, ce qu’elle font joyeusement. Raffella, c’est le nom de la femme qui avait pris Paola par la main, leur présente Sofia, membre de l’association et membre d’une association d’aînés qui partage ce local avec les femmes solidaires.
– Plusieurs associations de notre ville ont leur siège ici, dans ce bâtiment historique qui a été une imprimerie. Ce bâtiment profite à beaucoup de monde et favorise les rencontres. Sofia est grecque et moi andalouse, nous sommes en train de préparer le prochain repas interculturel qui aura lieu à la fin de l’été. Repas, le mot est lâché et l’alchimie s’opère.
S’il y avait des passants dans la ruelle en cette après-midi de juillet, ils entendraient par une porte restée ouverte quatre femmes deviser joyeusement. S’ils tendaient l’oreille, ces passants qui ne passent pas car il y a tant de choses à faire en ce beau mois de juillet finissant, ils saisiraient au vol des mots colorés, chaleureux, gratinés, et parmi ces mots il y aurait moussaka.
On devine que les repas culturels de l’association Femmes Solidaires Sans Frontières sont en train de rencontrer le projet de Paola, Giuseppe et Pierre, faire émerger des récits de migrants à travers la cuisine; cette rencontre a lieu dans ce bâtiment rectangle, tout en longueur qui est le siège de plusieurs associations, grâce à quatre femmes qui tissent joyeusement. Ce bâtiment rectangle, tout en longueur va bientôt figurer sur le plan que l’on voit par la vitrine d’un autre bâtiment, celui vers lequel se dirigent les quatre tisseuses. L’atelier tissage est terminé, plus exactement il va se poursuivre chez Paola, au dernier étage du bâtiment où se trouve le plan géant. Les quatre tisseuses se rendent dans sa cuisine pour y comparer des huiles d’olive de provenances différentes: Calabre, Andalousie et Péloponnèse.

Dans la cuisine de Paola, ce sont tantôt les rires qui dominent, tantôt le crépitement de l’huile d’olive dans les poêles.

 

Plus que 365 jours… (151/365)

Trompettes de juillet – X

Dans la librairie en train de devenir bien plus qu’une librairie – pourtant qu’est-ce que c’est déjà bien une librairie! – dans ce lieu en mutation, en construction, Marguerite a décidé de privilégier un certain nombre de thèmes en lien avec les objectifs de l’association Vivre ici. On trouve donc des livres en lien avec la marche. Ce donc peut éventuellement surprendre, pas la fidèle lectrice, ni le fidèle lecteur, mais ceux qui n’auraient pas compris qu’on marche aussi à l’ouest de Gaspard, Gaspard qui, notons-le en passant, ne fait pas que marcher, mais prend plaisir à s’arrêter, pour toutes sortes de raisons; ce n’est pas Heinrika qui dira le contraire.

Dans la librairie en train de devenir bien plus qu’une librairie – pourtant qu’est-ce que c’est déjà bien une librairie! – dans ce lieu en mutation, en construction, il y a donc aussi un plan en construction, parce que l’on marche aussi à l’ouest de Gaspard, parce que l’on veut mettre en marche les gens et parce que l’on souhaite que ces humains qui marchent complètent le plan, ce plan géant en construction, ce plan que l’on voit depuis la rue par la vitrine de Marguerite, ce plan sur lequel on voit la rue depuis laquelle on le voit, ce plan sur lequel on repère facilement le bâtiment qui a une vitrine par laquelle on le voit.

Pour qu’un plan soit plan, pour qu’il fasse son office, il lui faut différentes choses: un titre, une échelle – pas n’importe laquelle, sinon c’est une carte –, une légende, etc. Mais laissons cela de côté, pour l’instant. Parfois, lorsqu’un plan a tout ce qu’il lui faut pour être un plan, il ne fait malgré tout pas son office, certains vont jusqu’à dire qu’il est illisible, mais savent-ils lire? Mais Marguerite a anticipé, car Marguerite est du genre à transformer quiconque en bon lecteur et Marguerite sait bien qu’un plan ça se lit, comme une invitation. Alors Marguerite a tiré d’un livre un extrait qu’elle a recopié sur le plan, de sa belle écriture, à hauteur d’yeux comme on dit, comme pour inviter le passant à lire, même celui qui ne lit pas, même celui qui dit qu’il ne sait pas lire un plan. Ce livre est en vente chez Marguerite, il a pour titre Marcher, une philosophie, il a pour auteur Frédéric Gros. Aux pages 227 et 228 de ce livre – éditions carnetsnord, Paris 2009 – Marguerite a recopié l’extrait suivant:

Il faudrait se donner ce luxe, inouï et facile, de se promener dans son propre quartier, d’y marcher d’un pas incertain, hésitant, de décider de le parcourir pour rien, les yeux levés enfin, et lentement. C’est alors que le prodige survient. Et de seulement marcher, sans courir, sans se donner aucune mission précise, fait ressentir la ville telle un peu qu’elle est donnée à celui qui la voit pour la première fois. Comme on ne fait attention à rien de particulier, tout est offert à foison: les couleurs, les détails, les formes, les aspects. La promenade, de marcher solitairement et sans but, fait retrouver cette vision: je vois la couleur des volets ici et quelle tache de couleur cela fait sur les murs, je vois les arabesques délicates de longues grilles noires, je vois la bizarrerie de maisons absolument allongées comme des girafes de pierre et d’autres aplaties, larges comme des tortues grasses, je vois la composition des vitrines, je vois, quand je marche au couchant, des façades bleu-gris et des fenêtres orange. J’effeuille ainsi longtemps les rues.

 

Plus que 365 jours… (150/365)

Trompettes de juillet – IX

Le paysage nous donne à percevoir le sens du monde où nous sommes et que nous sommes aussi en ce sens-là, d’où son importance vitale.
Augustin Berque

Quel est le sens d’être humain sur la Terre ?

En conversant avec lui-même, en s’entretenant avec ceux qu’il rencontre, en écoutant ce qu’on lui dit sur des gens qui sont passés avant lui, en dialoguant avec les éléments – ceux qui cachent ou révèlent le paysage –, Gaspard essaie d’y voir clair, de trouver son rôle, de trouver sa place; et pour cela il doit bouger, marcher, être en mouvement.

A l’ouest de Gaspard, on essaie aussi d’y voir clair, de trouver des rôles, de trouver des places; on bouge aussi, mais différemment, on marche aussi, mais plus lentement, pourtant le mouvement est visible, concret, mesurable, et dans ce monde qui aime tant la mesure, ce mouvement qui amène du changement provoque un effet boule de neige –viburnum opulus roseum.

Le jardin de Mathilde attire les regards, les sons qu’on y entend donnent envie d’aller voir, les odeurs qu’on y sent donnent envie d’aller goûter.
La vitrine de Marguerite donne envie d’entrer, de questionner, d’écouter, de témoigner, de partager, de lire, de regarder, notamment cet immense plan de la ville qui se constitue au fil des semaines, quartier par quartier à partir du centre. Et parmi ceux qui voient ce plan géant depuis la rue – la rue que l’on voit sur le plan géant, le plan géant que l’on voit par la vitrine –, il y en a qui se mettent à marcher dans la ville, dans le centre, dans leur quartier, dans le quartier voisin, et en marchant ils rencontrent des rues nouvelles ou qui leur semblent nouvelles, ils entrent dans des lieux qui les invitent à entrer et se mettent à parler avec les gens qui font ces lieux, et en parlant ils découvrent ou redécouvrent qu’un lieu n’est pas qu’une adresse ou des coordonnées, mais aussi, et surtout, une mise en lien, des relations, alors ils se mettent, eux aussi, à faire ces lieux.

A l’ouest de Gaspard, il y a aussi des dialogues – intérieurs, à deux, à plusieurs –, le paysage n’est pas le même, mais il permet aussi, à qui sait ouvrir ses sens, de percevoir le sens du monde où nous sommes.

Août approche et avec lui, ce mois qui sera rouge, approchent les lieux  et les dialogues de l’été.

Plus que 365 jours… (149/365)

Trompettes de juillet – VIII

[journal du marcheur – extraits]

brouillard – brouillon

Défini simplement, le brouillard est un ensemble de gouttelettes en suspension au-dessus du sol; l’air contient de l’humidité et lorsqu’il se refroidit cette humidité se condense et le brouillard se forme.
Il faut que l’air se réchauffe pour que le brouillard se dissipe. C’est beau de voir le soleil derrière le brouillard juste avant qu’il le perce, un rayon après l’autre.
Comment le brouillard se forme-t-il dans notre tête? Faut-il que notre tête se réchauffe pour dissiper ce brouillard intérieur? Faut-il la mettre au soleil, notre tête? C’est beau d’imaginer des vers qui se faufilent, mot après mot, à travers le brouillard de notre tête et ressortent par notre bouche pour former des versets comme des amis s’assemblent pour boire des verres, des amis qui seraient sortis l’un après l’autre d’un labyrinthe et fêteraient leurs retrouvailles après des années d’enfermement, d’isolement, de séparation.
Les mots – qu’ils forment ou pas des vers – ne sont-ils pas les rayons de soleil qui dissipent le brouillard de notre tête? Les vers ne sont-ils pas comme les amis, grands, petits, patauds, élégants, bien ou mal assortis mais porteurs de sens? Pourquoi certains mots forment-ils des vers? Pourquoi devient-on amis?
Parmi les vers qui sortent de ma bouche, parfois accompagnés de brouillard quand il fait froid – le froid peut-il faire sortir le brouillard de notre tête? –, il y a des vers très anciens qui ont dû cheminer longtemps à travers un brouillard très épais, comme l’eau de source qui a traversé un géologie profonde, mais il y a aussi des vers plus jeunes, des vers qui ont aussi traversé du brouillard, mais moins épais que la vieille brume, une sorte de voile léger, entre bruine et buée d’un matin d’été au bord d’un étang, un étang dans lequel des muses feraient leurs ablutions après avoir quitté sur la berge leurs habits de mousseline claire, des robes blanches.

Ayant relu ces lignes
je me dis qu’il faudrait
en faire quelque chose
de plus construit
de moins brouillon.

[Penser à en parler aux muses, l’une après l’autre.]

Plus que 365 jours… (148/365)

Trompettes de juillet – VII

[journal du marcheur – extraits]

Certains jours le fleuve se pare des couleurs de la mer pour nous rappeler où il va et peut-être aussi pour nous inviter à le suivre jusqu’au bout. Je ne connais pas encore l’itinéraire exact que j’emprunterai pour aller à Riga, mais j’ai encore le temps. A Cologne je déciderai si je continue à filer le long du Rhin ou si je quitte son bassin pour rejoindre celui de l’Elbe, direction Hambourg et le canal de Kiel. Mon coeur balance encore entre la Mer du Nord et la Baltique – Mathilde, Heinrika. […]

Mais ce sera peut-être avant Cologne que je saurai. Je commence à avoir des réponses à une des questions que j’ai notées quelques pages en amont – le brouillard et les nuages sont-ils des humeurs du ciel? Oui, je le crois, du moins d’une certaines manière; c’est comme si les nuages m’avaient prescrit de baisser la tête pour reposer les muscles que j’avais las, ils me l’ont dit avec force  – surtout les fronts orageux –, un peu comme si eux aussi étaient las de quelque chose, peut-être las d’être regardés? Certes, ils auraient pu disparaître, s’évaporer, mais en ces jours chauds et orageux, les nuages sont condamnés à revenir en fin de journée. En quelque sorte les nuages m’ont forcé à regarder le fleuve qu’ils alimentent, le fleuve m’a rendu quelques vers oubliés et il m’a aussi parlé de la mer en variant les nuances de ses verts, et en me parlant de la mer, le fleuve m’a invité à me baigner comme on se baigne dans la mer lorsqu’on a trop chaud. Est-ce aussi lui qui a invité la dame en blanc, la dame au petit chien?

Je marchais le long de la mer – je trouve qu’on peut déjà dire la mer lorsque un fleuve prend la couleur de sa mer comme un enfant prend la couleur des yeux de sa mère – à la recherche d’un lieu où je puisse cacher mon sac et mes habits; j’avais l’intention de faire ce que j’ai fait plusieurs fois à Olten dans l’Aar avec mon ami Alex, me laisser porter quelques centaines de mètres par le cours d’eau, me rafraîchir, babiller – avec Alex ou avec les poissons –, faire la planche, donc faire bronzer les parties rondes et émergées de mon corps – mon visage et mon bedon. Alors que je marche, mon regard est attiré par une forme blanche et légère qui se déplace avec grâce devant moi, comme au-dessus du sol, une femme habillée en blanc. Alors que j’arrive à une dizaine de mètres d’elle, son chien – le femme avait une robe blanche et un petit chien de la même couleur – fait demi-tour et me fonce dessus en aboyant. Je n’ai pas peur des chiens, mais je m’arrête et dis quelques mots à l’animal pour le calmer. La dame arrive à grand pas, s’excuse en m’expliquent que son chien la protège de toute personne qui la suit. Elle se penche, finit de calmer son chien – mes mots et ma voix avaient commencé à le faire – et lui dit doucement que je ne suis pas une menace. Elle se relève, me sourit, je lui propose de la dépasser, elle se propose de me laisser un peu d’avance en attendant sur le banc tout proche qui semble avoir été mis là pour ce seul usage. On se salue et je poursuis la recherche d’une cachette pour mon sac et mes habits, sans avoir parlé de mon projet ni à la dame, ni à son chien. Je déniche l’endroit, y laisse mes affaires à l’exception de mon maillot de bain  je remonte la mer – c’est-à-dire le fleuve –, pieds nus comme la dame en blanc, à la recherche d’un lieu propice pour m’immerger, sauf les deux parties rondes qui caractérisent mon anatomie – pour l’instant. Tout à ma recherche et au plaisir anticipé de la baignade, je ne remarque pas en passant à la hauteur du banc que la dame et son petit chien sont toujours là; peut-être que si le banc n’avait pas été blanc, je les aurais remarqués, peut-être. La dame, elle, me remarque, peut-être à cause de mon bedon blanc; mes jambes et mes bras sont bronzés, mon visage aussi, mais pas mon bedon – si j’étais un apollon je ne marcherais pas torse nu, peut-être. Elle me salue joyeusement, me fait remarquer que la berge à l’aplomb du banc blanc est parfaite pour se jeter à l’eau et me demande si nous pouvons naviguer de conserve en ajoutant « je parie que vous avez laissé vos affaires sous le grand saule à quelques nautiques d’ici! ». J’acquiesce, pour le saule et pour la dérive à deux, et nous voilà dans l’eau, avec le chien; lui dérive sans nous, pour son compte – elle a dû lui répéter que je n’étais pas une menace pour elle. […]

Arrivés au saule, nous sortons de conserve, je me rhabille à l’abri des branches tandis que la nageuse au petit chien y cache sa nudité; la dame était partie promener juste avec sa petite robe et son petit chien, blancs. […]

En retournant chercher la robe blanche de la dame, la robe cachée dans un buisson clair juste derrière le banc blanc, la robe de la dame nue cachée dans un saule qui semblait avoir été planté là pour ce seul usage, j’étais sur un nuage, rose; je pensais aux jolis pieds blancs et nus de la dame, et une conviction se forgeait lentement en moi: oui, les nuages sont des humeurs du ciel, des humeurs bien malicieuses. Tout cela n’est pas très scientifique, je le concède, mais comme je l’ai dit à Heinrika, j’ai basculé du côté de la poétique du Monde. Et, en me remémorant ces paroles dites à Heinrika, je me disais aussi, tout en marchant gaiement vers la robe de la dame aux jolis pieds blancs, que dès l’automne je me baignerais dans la Baltique avec Heinrika et que nous allions découvrir que, comme les nuages, le brouillard est une humeur malicieuse du ciel, peut-être. […]

Plus que 365 jours… (147/365)

Trompettes de juillet – VI

Et si les vers étaient dans l’eau? se dit Gaspard qui marche toujours le long du Rhin mais qui est parfois las, las du Rhin mais aussi des muscles de la nuque à force d’avoir toujours la tête dans les nuages, donc aussi les yeux et le nez; certes il pourrait se coucher Gaspard, étendre ses reins sur la berge, prendre un peu congé du fleuve et regarder les nuages tout son saoul tout en reposant les muscles qu’il a las – et chanter, pourquoi pas? –, mais comment avancer couché le long du Rhin sans faire la planche? Car il faut qu’il avance Gaspard, il n’est pas encore à Riga. Peut-on faire la planche sur le Rhin avec un sac à dos qui du coup serait à ventre? Certes il fait chaud, mais il n’essaie pas Gaspard, non pas qu’il nage mal, non pas qu’il n’aime pas l’eau, ce serait plutôt la peur du grotesque. En projetant son image de lui dans l’eau du Rhin en train de faire la planche, Gaspard, il supporte l’idée que son ventre qui n’est pas plat émerge du fleuve et que cette matière grasse puisse devenir matière à rire pour d’éventuels spectateurs – il croise régulièrement des promeneurs, des amoureux, des vieux couples silencieux pour d’autres raisons que les amoureux, des randonneurs, des militaires, des bonnes soeurs et aliis – mais il ne supporte pas, Gaspard, l’idée que l’on puisse lui crier depuis les berges une réplique du genre: « Eh mon gros! pourquoi tu as deux sacs, tu fais de la contrebande? » [L.e.a lect.eur.rice se souvient que le Rhin est l’une des frontières naturelles entre la  Suisse et plusieurs de ses voisins; le terme naturel est évidemment impropre, car d’une part une frontière est un fait sociologique, ce n’est pas une abeille, ni un ours qui vous dira le contraire – l.e.a lect.eur.rice doit savoir qu’il existe des sociétés animales – et d’autre part le Rhin est pollué.]
Alors, pour se reposer les muscles qu’il a las sans se poser sur une berge du Rhin ni faire la planche et flotter sur ses reins avec deux sacs ventraux, il cherche ailleurs, Gaspard, et il baisse la tête, pour faire travailler autrement les muscles qu’il a las, et en baissant la tête, qu’est-ce qu’il voit le Gaspard? et bien le Rhin, donc de l’eau!

– Et alors? s’exclame l.e.a lect.eur.rice qui s’accroche – comme on s’accroche à une bouée pour ne pas perdre pied, ou le fil – pour suivre ce texte qui parle Gaspard qui suit le Rhin en cherchant des vers qu’il a perdus.
– Comment, lect.eur.rice, tu ne vois pas ? Mais l’eau du Rhin elle vient du ciel, directement – la pluie, la neige –, indirectement – les sources, les glaciers qui sont d’immenses stocks d’eau. Et où il va le Rhin? A la mer! Et où qu’elle va la mer? Dans le ciel, parce qu’elle s’évapore, comme l’eau. Et ça fait quoi l’eau qui s’évapore? Des nuages, pardi! [On est prié de ne pas confondre pardi avec paradis, même s’il est question de nuages, pardi!]

Maintenant que chaque lect.eur.rice – du moins ceux qui n’ont pas coulé, ceux qui ne sont pas las de ces flots de mots, donc ceux qui sont encore là – a repris conscience du cycle de l’eau (programme de 5ème, respectivement 7ème harmos, cf. PER), on comprend pourquoi il n’est pas stupide que Gaspard – qui a passé son bac sans faire la planche – cherche dans l’eau du Rhin les vers qu’il a perdus, sans canne à pêche ni cannes anglaises, mais en marchant sans chanter. CQFD

Le fleuve Mogami
rassemblant la pluie de mai
est encore plus rapide

Matsuo Bashō

 

Plus que 365 jours… (146/365) [corrigé]*

Trompettes de juillet – V [corrigé]*

De qui se moque-t-on…
…se demande Gaspard installé au pied d’une ligne de crêtes tandis qu’il voit pointer un cumulus, l’air malicieux, à côté de la pierre qui a l’air de se prendre pour une tour? D’abord il se dit, Gaspard, que ce petit cumulus veut toiser la tour, que ce jeune puceau ignore qu’un calcaire reste de marbre quand on le provoque. Mais il regarde mieux, Gaspard, et voit que le nuage et la tour ont l’air complices; sur les pentes qui mènent aux crêtes, il repère en effet deux clairières qui pourraient être des yeux, un pierrier qui pourrait être un nez grumeleux et la trace d’une route qui pourrait être un rictus moqueur. Il comprend alors, Gaspard, que c’est le versant tout entier qui s’est allié au nuage pour lui dire Fi les cornes! et lorsque son regard arrive à la ligne crêtes, il comprend que le cumulus n’en est pas un, c’est en fait une corne, celle d’un troupeau d’altocumulus qui déboulent de derrière la montagne, un front orageux! Il enrage, Gaspard, il est trompé et trempé; Fi les cornes Gaspard!

*La rédaction anticipe la pluie de lettres de lect.eur.rice.s en publiant ce corrigé et profite de l’occasion pour souhaiter à toutes et à tous d’excellentes vacances!

Plus que 365 jours… (145/365)

Trompettes de juillet – IV

Le temps d’un été, dessiner – devoir de vacances , avant Riga, avant Heinrika.

Au rythme des vers, Gaspard marche le long du Rhin, la tête dans les nuages.
Les nuages de l’enfance, ce temps où les vers entraient si facilement dans sa tête, sa tête qui entrait si facilement dans les nuages, mais sans que les nuages y entrent, dans sa tête; il n’y avait pas encore ces jours de brouillard dans la tête.
[Gaspard s’arrête un instant, sort son carnet et y note dans un coin, comme on note sur un brouillon: trouver la limite entre le brouillard et les nuages, la cerner avec des traits, avec des mots.]
Les nuages d’adulte, ceux qu’il voit dans le ciel quand il lève le nez, comme quand on cherche quelque chose. Comme il a l’âge auquel on a parfois du brouillard dans la tête – selon l’humeur, selon la météo –, des vers sont perdus dans sa tête, alors il lève les yeux au ciel, donc aussi le nez, et cherche dans les nuages les vers perdus dans le brouillard de sa tête; il cerne mal la limite entre le brouillard et les nuages, il le sait bien, d’ailleurs il a noté dans son carnet qu’il devait travailler à cela, trouver la limite; il l’a noté pour ne pas l’oublier, car sa tête est aussi remplie de brouillons, toutes sortes de brouillons.
[Gaspard s’arrête encore un instant, sort à nouveau son carnet et y note dans un autre coin, comme on note quelque chose dans un coin de sa tête:
– le brouillard et les nuages sont-ils des humeurs du ciel?
– chercher les liens qui existent entre le brouillard et le brouillon].
En levant les yeux au ciel, et donc aussi le nez, il est rare que Gaspard retrouve les vers qu’il cherche dans les nuages, alors il n’y a que des nuages, comme sur certains dessins qu’il faisait enfant, quand les vers lui entraient si facilement dans la tête qu’il avait si facilement dans les nuages. Tout cela lui revient, mais sans les vers; alors il s’arrête pour de bon, sort son carnet et dessine les nuages qu’il voit sans les vers.
[Il écrit aussi dans les marges de son carnet:
le brouillard qui est entré dans ma tête a-t-il fait sortir les vers ou ne fait-il que les cacher? Dois-je lever les yeux au ciel, et le nez, seulement pour dessiner les nuages ou aussi pour chercher les vers? Où sont les vers?]

Chemin faisant, Gaspard fait aussi ses devoirs de vacances et, dans sa tête, des réponses se forment et dissipent peu à peu le brouillard autour des questions qu’il a notées dans son carnet. Des traits, des mots.

Nuages de brouillard
faisant de leur mieux rapidement pour montrer
cent scènes

Matsuo Bashō