Résumé des épisodes 1 à 126
La rédaction avait d’abord imaginé un résumé mensuel, puis trimestriel, puis… Mais l’auteur et le narrateur font la sourde oreille dès qu’il s’agit de travail supplémentaire, et lorsqu’on les met au pied du mur, ils se contredisent – le lecteur sait pourtant bien que, en général, l’auteur et le narrateur ne font qu’un… :
– J’ai deux autres jobs, dit l’auteur, et ceux qui m’emploient me paient, eux !
– J’aime conjuguer le verbe procrastiner, surtout au présent, dit le narrateur.
Sans espoir d’obtenir davantage de ce couple schizophrène, la rédaction s’en est remise à l’esprit le plus sain (sic) de cette trinité, à savoir Gaspard, le marcheur qui voit et qui écrit. On lui a proposé de résumer l’histoire, son histoire en somme, et il a dit oui, lui. On le remercie et on publie son résumé tel quel, sans changer une virgule, il y en a tant…
Préambule
Avant d’accepter ce mandat – rédiger un résumé – j’ai exprimé ma surprise, pourquoi moi ? Pourquoi pas Mathilde ? Le rédaction m’a promis qu’elle réfléchirait à la possibilité de faire parler d’autres personnages, tout en me laissant entendre que Mathilde était très occupée. J’ai senti que la rédaction a immédiatement regretté de m’avoir parlé de Mathilde, ayant sans doute peur que cette information m’inquiète ; mais elle ne m’inquiète pas du tout, j’en parlerai plus tard.
Certains faits ou certaines informations que j’ai choisi d’introduire dans mon résumé ne sont peut-être pas dans les épisodes, je ne connais que mon histoire, mais pas l’entier du feuilleton ; on m’a dit qu’il s’appelait Plus que 365 jours, mais je ne sais pas qui est au centre de cette histoire, il y a sans doute passablement de gens, ou de personnages – comme vous préférez – qui sont à une charnière de leur vie, pour qui l’année en cours est une année de transition ; je serais très surpris d’être le héros de cette histoire, même un héros parmi d’autres.
Comme le mandat de la rédaction n’a pas été explicité, ce qui me convient, je me sens libre de résumer la seule histoire que je connais, la mienne, comme bon me semble, mais avec le projet d’éclairer le.a lect.eur.trice.
Résumé
Je m’appelle Gaspard, ma compagne s’appelle Mathilde, nous vivons ensemble depuis plus trente ans, nos trois enfants sont maintenant hors de la coquille, la petite dernière, qui me dépasse d’une tête et qui a la moitié de mon âge, vingt-six ans, est partie de chez nous l’été dernier, elle vit sa passion à Londres et sa passion la fait vivre, elle est photographe. Son frère et sa soeur l’ont précédée de quelques années ; l’aînée a commencé à exercer son métier de juriste dans diverses organisations internationales, ce qui l’a amenée dans beaucoup de pays avant qu’elle décide de s’arrêter en Australie où elle est devenue brasseuse de bière ; leur frère, l’enfant du milieu, vit de sa plume comme moi ; il partage son temps entre des mandats de journaliste et différents projets d’écriture ; il vit au Japon, sur l’île de Kyushu.
Avant d’habiter ensemble, Mathilde et moi pensions déjà que pour un couple la liberté était un lien plus fort que celui du mariage, plus beau aussi ; nos enfants ont embelli et renforcé ce lien, leur départ et les masses d’eau qu’il y a entre nous – mers et océans – le mettent à rude épreuve.
Je suis à un moment charnière de ma vie, nous sommes, devrais-je dire, Mathilde et moi, à un carrefour de notre vie. J’ai toujours travaillé à la maison, ce qui m’a permis de m’occuper des enfants et de les voir grandir. J’ai été un homme au foyer, tandis que Mathilde avait en ville, dans notre petite ville, un cabinet d’art-thérapeute. Nous avons éduqué nos enfants ensemble, Mathilde s’occupait du jardin et moi de l’intérieur, mais nous partagions certaines tâches, tant intérieures qu’extérieures, et les enfants nous ont aidés dès que leur âge l’a permis. Lorsque les enfants ont commencé à être autonomes, j’ai pu commencer à pratiquer la marche solitaire, toujours en lien avec mes activités d’écriture. Durant ces périodes, jamais plus de quelques semaines lorsque les enfants n’étaient pas encore indépendants, Mathilde modifiait ses horaires et recevait parfois des patients à la maison qui est à deux pas du centre-ville où elle avait son cabinet. En octobre dernier, elle a remis ce cabinet à son associée ; elle a toujours envie de consacrer du temps aux autres, mais différemment, elle souhaite aussi avoir du temps pour elle, reprendre des activités créatrices dans différents domaines qu’elle maîtrise – Mathilde a de l’or au bout des doigts.
Depuis que nous sommes seuls à la maison, tantôt l’un sur l’autre, tantôt jaloux de nos territoires, nous avons brusquement réalisé que nous devions réinventer notre vie, notre couple, mais sans savoir comment. Nous n’avons pas su anticiper cette étape et le départ de Marie pour Londres a fini de nous déboussoler : trois enfants, trois continents, comment rester une famille ? Et dans l’immédiat, comment rester un couple ? L’automne fut pour nous semblable aux marées d’équinoxes, des rafales de mots, des discussions agitées, des querelles houleuses, du tonnerre sans éclair dans un épais brouillard. Entre Noël et Nouvel An, bien tristes fêtes sans les enfants, nous avons décidé de réfléchir chacun de notre côté, Mathilde à la maison et moi sur les chemins, une année pour y voir clair.
Je suis parti de chez nous durant la nuit de l’An, sur la pointe des pieds. Cette dernière soirée partagée n’a pas été très joyeuse, mais nous étions presque apaisés par notre décision, peu de remous entre nous et même un peu de tendresse. Nous avons cuisiné ensemble, mangé, écouté de la musique, lu et lorsque minuit a sonné, nous étions dans notre lit à nous raconter la plus vieille histoire du Monde.
Je suis parti vers l’ouest, à la rencontre du blanc. J’ai d’abord marché dans un grand élan, mais celui-ci s’est brisé contre le mur d’un alpage jurassien. Là, un couple m’a recueilli, m’a aidé à remonter la pente, à me remettre en état, comme on répare une horloge détraquée. J’ai passé plusieurs semaines chez eux, j’ai rencontré de nombreuses personnes, certaines de chair et d’os, d’autres surgies du passé, racontées par les vivants ou découvertes dans un vieux livre intitulé Chroniques. J’ai découvert dans le Jura un lieu étrange et fascinant, né de la mort mais dédié à l’accueil et au soin des vivants.
Ce lieu m’a soigné et, cheminant d’abord vers Bâle puis vers le Gothard, je n’ai cessé de penser qu’il faudrait que j’y revienne avec Mathilde. Lui présenter ces gens qui eux aussi ont dû réinventer leur famille, leur couple – mais à la suite de circonstances tragiques, la mort brutale de leurs enfants –, parler avec eux, s’inspirer de ce lieu pour partager notre maison, notre jardin, à notre manière, dans notre environnement.
A Bâle, j’ai fait une autre rencontre surnaturelle, un couple de fifres, durant le carnaval. Mathilde et moi aimons cette ville, aimons ce carnaval, ensemble et chacun à notre manière. Nous aimons découvrir une ville grâce à ses habitants et nous avons plusieurs fois suivi des musiciens isolés ou en couple durant le carnaval. Une année, nous avions suivi un couple de fifres durant toute la nuit du Morgenstreich. Ce couple m’a reconnu – contrairement à eux, je ne porte jamais de masque durant le carnaval –, ils m’ont offert l’hospitalité quelques jours, avant que je prenne la route du Gothard – j’avais initialement pensé remonter le Rhin, mais le sud m’a appelé alors que j’étais sur le Mittlere Brücke, ce pont qui vit passer tant de diligences pour le Tessin et l’Italie.
Ce qui m’a paru surnaturel dans cette rencontre, ce sont les liens nombreux entre l’alpage jurassien et cet appartement bâlois. Des liens entre un douanier qui a sauvé des Allemands au début des années 1930 et la famille de la femme de ce couple de fifres. Des liens entre certains livres de l’alpage et beaucoup de livres de cet appartement, mais aussi avec des tableaux accrochés aux murs des deux musiciens. Et aussi des liens entre ce couple de fifres et le couple que je forme avec Mathilde, des questions semblables, des doutes semblables, de moins en moins de certitudes.
Mon optimisme proverbial m’avait fait imaginer un passage rapide du Gothard, mais l’hiver tardif m’a appris que même les proverbes changent, ou en tout cas qu’ils ne sont pas les mêmes partout. C’est ainsi qu’en mai je n’ai pas fait ce qui me plaisait, ou plutôt oui, mais pas ce que j’avais imaginé. J’ai logé plusieurs semaines à Hospental, en attendant l’ouverture du col, dans une auberge où j’avais dormi enfant avec mon père et deux de mes frères et soeurs, auberge tenue aujourd’hui par Heinrika et Odile. J’ai maintenant passé le Gothard, Heinrika est restée à Hospental où la saison d’été a commencé, mais elle est avec moi, nuit et jour, elle est dans ma tête, je suis dans la sienne. Est-ce de l’amour ? Nous ne savons pas encore. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, avons parlé, ri, mangé, lu, écrit, dessiné, échangé sur des choses intimes, mais ne nous sommes pas raconté la plus vieille histoire du Monde. Avant de se quitter, on s’est pourtant longuement serrés dans les bras, pour que chaque corps se souvienne de l’autre, comme nos esprits. Nous avons la conviction de nous revoir, de réaliser des choses ensemble, mais quoi ? Lorsque Heinrika fermera son auberge pour l’hiver, nous nous rejoindrons à Riga. Pourquoi Riga ? Sans doute parce que la balle virtuelle de la partie de ping-pong qui a précédé notre séparation est tombée dans ce golfe au fond duquel se trouve la ville de Riga.
Chaque fois que je suis parti marcher seul, quelques semaines ou quelques mois, j’ai toujours envoyé des nouvelles à Mathilde et aux enfants ; de simples cartes postales, mais régulièrement. A la fin de ces cartes j’indiquais les prochaines localités par lesquelles je passerais, leur permettant ainsi, s’ils les désiraient, de m’envoyer eux aussi des nouvelles, en poste restante.
Depuis janvier j’ai écrit plusieurs fois à Mathilde. J’ai reçu une fois de ses nouvelles, à Olten. Elle me dit qu’elle est très occupée à réinventer la vie de notre jardin et celle de notre maison – elle ne dit pas notre vie. Elle me dit que la maison et le jardin sont à nouveau très animés, que des gens – dont je connais certains – y travaillent avec elle. Je la sens enthousiaste, mais aussi un peu distante ; je ne retrouve pas dans les mots qu’elle utilise l’amour de nos lettres passées – Mathilde et moi avons échangé une abondante correspondance depuis le début de notre histoire. De mon côté je lui ai parlé des mes espoirs et de mes doutes, mais de façon encore vague, tout en sachant qu’elle lit mieux que moi entre les lignes. Je travaille sur le brouillon d’une lettre que je souhaite lui envoyer bientôt, je dois lui parler d’Heinrika, je me le dois, je le lui dois, notre couple s’est construit dans la liberté et s’est développé dans la vérité. Mathilde a-t-elle aussi quelque chose à me dire ? Serais-je capable de la laisser partir ? Serait-elle capable de me laisser partir ?
Plus que 206 jours…