Plus que 365 jours… (136/365)

Ardeurs de juin — XV

Peut-on manger des nepitelle — ce dessert calabrais que l’on sert à Pâques — au mois de juin ?
OUI !

Peut-on réussir des nepitelle tout en parlant migration  avec passion, dans une cuisine surchauffée ?
FAUT VOIR…

Prenez une cuisine, mettez-y deux personnes, faites-les parler d’un sujet qui leur tient à coeur, mais pour que cela ne soit pas de la tarte, ajoutez du piment en leur faisant réaliser parallèlement à leur propos une recette de quelque chose qu’elles adorent, qui viendrait de leur enfance.

Première difficulté : des nepitelle d’accord, mais quelle recette ? Celle de la mère de Paola ou celle de la tante de Giuseppe ? On est dans la cuisine de Paola, elle a tous les ingrédients sous la main : avantage Paola. Giuseppe s’incline mais jure qu’il aura sa revanche  la recette de ma tante, dit-il, fille naturelle d’un évêque, est forcément meilleure que celle de ta mère mariée à un communiste, c’est un dessert de Pâques, ne l’oublions pas ! Paola lui casserait bien un ou deux oeufs sur la tête, à Giuseppe, histoire de le remettre à sa place, ce petit-neveu d’évêque libertin, et histoire aussi de ralentir la chute de ses cheveux, à Giuseppe — on fait bien des shampoings aux oeufs —, mais elle relit la recette est constate qu’elle n’aurait pas assez d’oeufs. Alors elle réalise la recette, avec Giuseppe, et non pas contre lui.

La recette / la discussion

  1. Préparez d’abord la pâte : cassez 1 œuf en séparant le blanc du jaune. Tamisez la farine dans une jatte, versez le sucre en pluie / chez nous il pleuvait rarement, à mon arrivée en Suisse j’ai été surprise mais une bonne âme m’a prêté un parapluie / et creusez une fontaine / dans mon village, la fontaine était comme un bistrot, mais ouvert à tout le monde et à tous les vents ; on venait chercher de l’eau, boire entre amis,  s’initier à la politique, chercher l’âme soeur. / Cassez 2 œufs au centre de cette fontaine, ajoutez le jaune d’œuf, 165 g de beurre en noisettes / le premier garçon que j’ai embrassé c’était dans le gros noisetier, à mi-chemin entre l’église et l’école ; arrivée en Suisse beaucoup d’hommes voulaient m’embrasser dans les recoins, mais moi je ne voulais pas / et le sel. Travaillez du bout des doigts pour obtenir une pâte lisse et malléable. Roulez celle-ci en boule, / quand j’ai commencé à travailler à l’usine, j’avais la boule au ventre, toujours peur de faire faux, alors je regardais les autres et je faisais comme eux, mais quand ils disaient que les Italiens étaient moins que les chiens, je ne répétais pas et j’avais froid dans le dos / enveloppez-la dans un linge et mettez-là au réfrigérateur.
  2. Pendant ce temps, préparez la garniture : faites tremper les raisins secs / j’ai toujours aimé lire, surtout des romans, mais après la lecture des Raisins de la colère, je me suis syndiqué et j’ai commencé à lire des essais politiques / pendant 15 mn dans de l’eau tiède. Faites bouillir de l’eau dans une casserole et plongez-y les figues pendant 5 minutes. Faites griller les amandes dans une poêle à revêtement antiadhésive / j’avais un copain qui s’est gravement brûlé en travaillant à la zinguerie de Renens, pas d’AI, rien, le patron lui a donné quelques billets, dont un simple course pour Naples / puis passez-les à la moulinette électrique avec les noix et les clous de girofle. Lavez les oranges et essuyez-les.
  3. Égouttez les figues et hachez-les finement. Égouttez les raisins secs. / Ma voisine a bossé toute sa vie chez IRIL, et après IRIL, plus rien ; ses deux mois de retraite elle les a passés à l’hôpital, où elle est morte ;  les médecins ont dit que l’usine l’avait lessivée. / Râpez le zeste des oranges au-dessus d’une jatte, puis ajoutez-y les figues hachées, la poudre de noix d’amande et de clou de girofle, les raisins secs, la marmelade et la cannelle. Mélangez bien.
  4. Sortez la pâte du réfrigérateur. / Au début, en hiver, on sortait le moins possible, on n’avait pas d’habits chauds ; nos enfants sont nés  en septembre, janvier était le mois le plus froid. / Farinez un plan de travail et abaissez la pâte au rouleau à pâtisserie sur une épaisseur de 5 mm environ. / A côté d’eux on n’était rien, les mots pour nous rabaisser étaient légions, leur chef s’appelait Schwarzenbach. Découpez ensuite la pâte en disques de 10 cm de diamètre à l’aide d’un moule à tartelette. / Au triage de Renens, y en a un qui s’est coupé la jambe avec une disqueuse pour découper l’acier ; ça a fait tout une histoire, il était suisse. Allumez le four 160°C / Au premier août on ne voyait pas leurs feux, on était dans la famille, en Italie, mais on disait quand même « cochon de Schwarzenbach ! »
  5. Battez légèrement le blanc d’œuf que vous avez réservé. Déposez une noix de la préparation précédente sur chacun des disques de pâte, puis rabattez la pâte en badigeonnant les deux bords opposés avec du blanc d’œuf battu pour les souder. Incisez légèrement le bord arrondi des chaussons à l’aide d’un couteau. / Des bagarres, y en avait souvent. Au début, pour avoir plus d’argent, on jouait le jeu des patrons et on acceptait les heures sup., mais quand on sortait, à 22 heures, et qu’on voulait boire un verre avant de rentrer, les syndiqués nous cassaient la gueule pour nous apprendre à dire non. Des fois y a des couteaux qui sortaient alors les courtepointières nous faisaient des point de sutures au mercurochrome.
  6. Enduisez la plaque du four avec le reste du beurre. Cassez le quatrième œuf dans un bol et battez-le, puis badigeonnez-en les chaussons à l’aide d’un pinceau. Rangez ceux-ci sur la plaque. Mettez au four et faites cuire pendant 25 ou 30 mn, jusqu’à ce que les chaussons soient bien dorés et gonflés. Servez chaud ou froid. / Quand j’ai travaillé à Yverdon, j’ai été amoureuse d’un pâtissier, mais y avait mon patron qui me tournait autour, la nuit il rôdait en chaussons, j’ai failli avoir un croissant dans l’four, mais heureusement, y avait la patronne, une sainte femme.

— Je dois être honnête avec toi, Paola, ces nepitelle sont sublimes, j’espère que ta mère m’entend là où elle est !
— Soyons honnêtes, Giuseppe, elles sont dures ces histoires de migration, mais il faudra les faire sortir, que tous les entendent, même les morts, là où ils sont.
Ne pas fermer les yeux sur le passé*, déposer les fardeaux, passer à autre chose et ne pas recommencer avec ceux qui arrivent par les mers et les océans au péril de leur vie, dans l’espoir de ressusciter.

*Nepitelle serait dérivé du mot latin palpebra qui signifie paupière.

Fermé, ouvert, clin d’oeil.

 

Plus que 365 jours… (135/365)

Ardeurs de juin — XIV

A l’ouest de Gaspard, on marche aussi, mais moins longtemps et pour d’autres motifs.
Mathilde et Fernando se baladent dans la forêt pour l’intimité, il y en  a moins qu’avant dans le jardin de Mathilde, et ils aiment être dehors.
Mathilde emmène Paola à la découverte des sentiers urbains et leurs longues promenades permettent de faire le point sur l’avance des projets, de fixer des priorités, de réfléchir.
Joseph et Lili vont aux champignons et aux plantes comestibles, ils emmènent de plus en plus souvent des membres de l’association Vivre ici pour les initier aux richesse de l’écosystème forestier.
Marguerite cueille des fleurs pour un amoureux virtuel.
Fernando et Robert emmènent Marco à la rivière, ils gardent espoir de trouver de bonnes pierres pour le four à pain, Robert trouve que la terre cuite de la Drôme est trop coûteuse — pourtant Mathilde et Paola ont dit que l’association avait les moyens — et pas assez locale.
Et puis il y a ceux qui cherchent la solitude, ceux qui se cherchent — comme Gaspard ?
Et des fois, des solitudes se rencontrent.

Paola avait besoin d’être seule, elle aime venir ici, s’asseoir à l’ombre du noyer, écouter le bourdonnement des ruches toute proches.
Joseph avait besoin d’être seul, lorsqu’on est champignonneur, il ne faut pas révéler tous ses coins, même à ses élèves et il aime donner à Lilli l’occasion de parler à d’autres personnes qu’à lui ; il est comme ça Joseph.

Lorsqu’elle le voit arriver, elle n’est pas aux anges Paola, Joseph se plaint des bavardages de sa femme, mais est-il conscient qu’il parle sans cesse, lui aussi ? Il n’y a pas pire sourd que celui…
Alors elle cherche à rendre très courte la rencontre qui est inévitable, il l’a vue, il se dirige vers elle. Lorsqu’il est à quelques mètres avec son petit panier, elle lui adresse un salut pointu : « Alors Giuseppe, la cueillette est bonne ? »
Il sait qu’elle a vu que le panier est vide, elle sait qu’il n’aime pas qu’on l’appelle Giuseppe, il sait qu’elle pense qu’il va esquiver, fermer les yeux, il a compris qu’elle veut être seule, ruminer ses projets de son association, prendre le frais sous son noyer, écouter ses petites abeilles, mais non, pas cette fois, c’est trop facile. Alors il s’assied à côté d’elle et vide son sac. Par le menu il lui raconte sa vie, sa vie de migrant. Il insiste bien sur migrant, on est là depuis cinquante ans, mais on vous demande toujours d’où vous venez, ce que vous faites, pourquoi vous avez quitté votre pays. Alors oui, j’en ai marre d’être migrant, Joseph ça fait prénom d’ici, ne pas trop parler pour cacher l’accent — Paola réprime un éclat de rire —, oui j’ai quitté mon pays, je ne l’ai pas trahi, mais lorsque je dis que mon accent est du Tessin pour qu’on me foute la paix, j’ai l’impression de le trahir, mon pays, pourtant je ne suis pas un traître.
Paola surmonte ses larmes et trouve la force de lui dire que pour elle il est un traître, — je ne connais aucune bonne raison de s’assimiler, et figure-toi, Giuseppe que moi aussi j’en aurais eu des raisons de m’assimiler, j’ai ravalé mes larmes mais pas mon accent, comme toi je suis migrante, migrer ça prend toute une vie.
Il reste bouche bée, Joseph, elle pourrait être sa fille, elle lui tient tête, le tutoie d’autorité, mais pour qui se prend-elle ! Mais il y a aussi de l’admiration dans la béance de la bouche de Giuseppe, Paola lui apprend le courage, la détermination. Alors soudain, il se sent mesquin, Joseph, il se dit que l’association est belle, que les projets sont généreux et que Paola aurait très bien pu garder tout son argent pour elle. C’est ça qu’il se dit, Giuseppe, en écoutant Paola dérouler son histoire, ça et d’autres choses.
Et ils sont là, tout chose sous le noyer, ils ont vidé leur sac, et puis après ? Giuseppe regarde Paola, Paola regarde Giuseppe. Son regard à lui fait des excuses, son regard à elle dit pas d’excuse, va de l’avant ! Alors il prend la parole, Giuseppe.
— Paola, je serais fier d’avoir une fille comme toi, tu as du courage, de la volonté et tu m’as ouvert les yeux, il était temps ! Nous devrions baptiser l’ancienne Librairie de Marguerite Les Yeux Fertiles, y recueillir des récits de migrants, mais aussi des récits de ceux qui étaient déjà là, ces Suisses qui nous accueillis et aussi ceux qui n’ont pas su nous accueillir, pas pu nous accueillir, transcrire ces récits, les publier, en faire des lectures publiques, se parler, enfin, et battre en brèche nos préjugés respectifs, essayer de vivre ensemble, vraiment !
Paola est bouche bée, alors pour dire oui, elle prend dans ses bras ce père dont elle serait fière d’être la fille.

Plus que 365 jours… (134/365)

Ardeurs de juin — XIII

Bilan de l’exercice : chaque page aurait dû prendre la couleur du ciel à un instant T, il voulait saisir toutes les nuances du ciel traversé par l’orage : du bleu de la carte postale aux gris-noirs zébrés de l’orage, des gris-noirs zébrés de l’orage aux couleurs lumineuses qui le suivent, jusqu’au moment où le ciel serait redevenu carte postale, toute brillante. Alors, qu’y a-t-il sur les pages du carnet ?

Sur la première on voit des bleus : c’est assez réussi. Sur la seconde arrivent du jaune et du orange qui se mélangent au bleu et le dominent, le ciel d’orage : peut faire mieux, beaucoup mieux. Et dès la troisième, ça se gâte, certes le gris et le noir dominent, mais avec des mots ; il n’a pas réussi à suivre, le pauvre Gaspard, alors il a noté des mots qui l’aideront à retrouver les couleurs du ciel pendant l’orage, à tête reposée, quand il reprendra l’exercice — avec Heinrika penchée sur lui pour l’épauler ? Non, reprendre ce travail avant octobre, avant Riga, dessiner tout l’été, devoir de vacances !

En attendant, il fait fonctionner ses jambes sous la pluie, Gaspard, car l’orage se prolonge, comme pour lui faire les pieds.

Franges des jours II

Ils les prennent d’abord pour de simples promeneurs qui se seraient arrêtés sur la crête pour reprendre leur souffle et admirer le paysage, des promeneurs matinaux, comme eux. Par ces très chaudes journées de juin, Judith et Peter aiment sortir de bon matin devant le chalet pour faire provision de fraîcheur.

Les deux hommes s’attardent, l’un semble dessiner, assis, les genoux repliés en guise de pupitre pendant que son compagnon cueille des fleurs. Les fleurs cueillies, il s’assied, arrange le bouquet et le présente au dessinateur qui semble acquiescer de la tête. Lorsque celui qui dessine a rangé son matériel dans une petite sacoche en cuir, les deux hommes restent assis, discutent en regardant le chalet à la dérobée. Lorsqu’ils se lèvent, Judith et Peter sont convaincus qu’ils sont venus pour eux. Judith reboutonne un peu sa blouse qu’elle a laissé ouverte pour nourrir Maryam qui ne va pas tarder à se faire entendre et demande à Peter si elle est présentable ; il lui sourit, caresse ses cheveux, l’embrasse tendrement et l’entraîne à la rencontre des deux hommes.

Nous aussi sommes venus voir la petite, disent-ils avant de les embrasser comme on embrasse les gens qu’on aime. Judith et Peter sont un peu surpris mais l’acceptent en toute simplicité, comme on accepte un supplément de fraîcheur et un bouquet champêtre avant une journée qui s’annonce caniculaire. On boit le café dehors, avec des bagels encore tièdes. En se servant dans la corbeille qu’on lui tend, le fleuriste dit que c’est aussi un peu pour les bagels qu’ils sont venus ; la bonne humeur éclate et on se met à parler.
– Je m’appelle Jean, je viens de Genève, je suis le pasteur de la commune. J’ai été chassé de ma paroisse pour une obscure raison, ainsi que de l’Eglise, mais ici on m’a accueilli, les gens de ce village sont magnifiques et savent ce que signifie choisir son pasteur.
– Je m’appelle Paul, j’ai été curé en Gruyère. Un jour, alors que j’herborisais dans les vertes montagnes, j’ai aperçu Jean qui dessinait sur une crête. L’obscure raison dont parlait Jean avec la pudeur des protestants – il rit bruyamment alors que Jean se contente de sourire, avec retenue –, c’est qu’on a eu le coup de foudre et on a décidé de vivre ensemble, alors j’ai jeté mon froc aux orties, voilà.
– Que voulez-vous, on est en avance sur notre temps, il faudra sans doute encore bien des décennies pour que nos églises ouvrent vraiment leur coeur.
– Si elles en ont un ! Et moi je vous dis que ce sera plutôt des siècles.
– Il n’y a qu’ici qu’on nous accepte comme on est. Dans cette commune il y a quelque chose de particulier, une sorte d’énergie puissante et humaine, quelque chose d’indestructible.
– Comme un avant-goût de Paradis ! ajoute Paul en reprenant un bagel.
– Le Synode d’ici n’est pas mieux que celui de Genève, il ne me reconnaît pas, mais la communauté a racheté la cure et nous y a installés…
– Comme des mariés ! ajoute Paul dans un grand éclat de rire, et il manque de s’étouffer avec un morceau de bagel qui passe par le trou du dimanche.
– Paul s’occupe du jardin et des animaux, on a une belle basse-cour et quelques brebis…
– Et un bouc !
– Il veut dire un bélier ; il tient la maison et cuisine comme personne. Il me seconde aussi dans mon ministère, il connaît bien les humains et les aime.
– Une vraie femme de pasteur, en somme !

Malgré les éclats de rire, on entend que Maryam est réveillée, en gazouillant elle amène sa part à ce pur moment de joie. Judith va la chercher et se met à l’allaiter sans gêne, comme lorsqu’on est entre égaux. Lorsqu’elle est rassasiée, Peter prend Maryam dans ses bras. Jean et Paul se lèvent, s’approchent de la petite, la bénissent et récitent une prière que Judith et Peter reprennent avec eux.

– La voilà baptisée, dit Jean.
– Les femmes du village seront ses marraines et les hommes ses parrains.
– Et les enfants ses amis.

Plus que 365 jours… (133/365)

Ardeurs de juin — XII

Plutôt que de chercher d’où vient cet état qu’il ne connaît pas, ou qu’il connaît de très loin — l’enfance ? —, si loin, il continue à faire fonctionner ses jambes, Gaspard, et en faisant fonctionner ses jambes, de drôles d’idées lui viennent, à Gaspard, ou plutôt des souvenirs d’abord, ceux de ces jeux qu’ils faisaient enfants, ses frères et soeurs et lui : tu préfères être sourd ou aveugle, qu’on te coupe une jambe ou un bras, le gauche ou le droit ? S’en suivaient des heures entières les yeux bandés, ou des tampons dans les oreilles et un gros turban sur la tête — comme dans une aventure de Tintin —, ou à cloche-pied ou un bras attaché dans le dos. Ces souvenirs font venir de drôles d’idées à Gaspard, ou plutôt des questions ; que se passerait-il si le trac, ou quelque chose d’autre lui coupait à nouveau les jambes, les deux jambes, et que cette fois il n’y avait personne pour le soutenir, pas de préposé avec ou sans casquette ? Ces drôles d’idées ne sont heureusement pas assez fortes pour l’empêcher de faire fonctionner ses jambes, alors il avance Gaspard, d’un bon pas, un peu comme si le diable le poursuivait ; cette idée l’amuse, et c’est dans un état de joie quasi zoroastrienne qu’il arrive au débouché de Töbeli — petit ravin aurait dit Molière s’il avait pu traduire Goethe —, juste après Landquart, en rive gauche du Rhin, là où surgit un torrent de la montagne comme un diable surgit de sa boîte.
Ce torrent tout gentillet fait raisonner la vallée encaissée comme un « V » — tout le contraire d’une auge glaciaire qui est large comme un « U » — de son doux murmure. Gaspard s’arrête pour boire et pour écouter ce chant. Assis sur un caillou, il continue à ruminer ses drôles d’idées, mais parmi elles en surgit une qui l’apaise : il se souvient qu’enfant, il choisissait toujours d’être sourd plutôt qu’aveugle — ça lui faisait trop peur de perdre ses yeux noisette — et durant ces heures enturbannées, il dessinait et buvait les images qu’il n’entendait pas. Alors il se dit, Gaspard, que si quelque chose de plus grave que le trac lui coupe définitivement une jambe ou deux, il dessinera pour se consoler de ne plus marcher et, sur son gros caillou, il se met à dessiner, Gaspard, et comme il n’a pas de turban, ses oreilles l’aident, le font accélérer ; il entend en effet que le murmure se fait moins doux, que le filet de voix enfle en même temps que le fil de l’eau, le torrent se met à gronder comme l’orage qui semble venir de l’amont. Alors Gaspard se dit que la météo lui offre un exercice pour se préparer à quand il ne pourra plus marcher : dessiner vite, saisir le temps qui change. Il sort son carnet et sa petite boîte de couleurs, il fixe le ciel : chaque page prend la couleur du ciel à un instant T, il veut saisir toutes les nuances du ciel traversé par l’orage : du bleu de la carte postale aux gris-noirs zébrés de l’orage, des gris-noirs zébrés de l’orage aux couleurs lumineuses qui le suivent, jusqu’au moment où le ciel redevient carte postale, toute brillante.

 

Plus que 365 jours… (132/365)

Ardeurs de juin — XI

Ni lourd, ni léger, ni soulagé, ni tendu, un état qu’il ne connaît pas, ou alors de très loin, si loin…

Ne pas ouvrir l’enveloppe n’importe où, se dit-il, trouver le bon lieu, lire et relire, l’enveloppe est épaisse, il faudra du temps. Debout devant la poste, immobile, il réfléchit ; trouver un lieu tranquille, un lieu où il sera seul, dehors de préférence ; marcher pour trouver ce lieu, marcher dans cette ville qu’il ne connaît pas, mais comment marcher ? le trac lui coupe les jambes.
Midi sonne ; le préposé sort, il est surpris de le voir toujours là, planté devant son office, 7000 Chur. Il prend d’abord un air soupçonneux, mais quelque chose sur le visage de celui qui vient de retirer une lettre en poste restante lui dit que ses soupçons sont infondés, que cet humain planté là a besoin de soutien ; alors il le prend par le bras avec un mélange de force et de douceur. L’immobile n’oppose aucune résistance, se laisse conduire comme un enfant perdu qui se laisserait entraîner par un inconnu.
Le préposé marche d’un pas alerte ; on s’éloigne de la gare en direction sud-est, l’Altstadt, une pelote de ruelles coincée entre deux pans de montagne au pied de la colline de la cathédrale. Dans ce dédale frais, le préposé guide celui à qui il a tendu une lettre, tout à l’heure, à travers un guichet. Il s’arrête devant une porte en fer, rouillée, sort des clés, ouvre la porte ; on entre dans un jardin, entre ombre et lumière. Celui qui a tendu la main à celui à qui il a d’abord tendu une lettre installe celui qui va ouvrir la lettre sous la tonnelle. L’automate redevient Gaspard, sort son couteau, ouvre la lettre. Le préposé enlève sa casquette et disparaît dans la maison attenante au jardin.
Il réapparaît de longues minutes plus tard avec un lourd plateau ; sans un mot, il dresse la table, sert à boire, lève son verre ; Gaspard l’imite, ils boivent en silence, à quoi ? semble interroger le préposé sans casquette qui s’est transformé en humain, un humain qui scrute le visage de Gaspard et semble lui dire qu’il peut parler ou garder le silence, à son aise. Gaspard ne parle pas. On mange sans bruit. Après le café, l’humain débarrasse la table, disparaît quelques instants et réapparaît avec sa casquette. Gaspard comprend qu’il retourne à l’office et se lève. Dans la rue, devant la porte en fer qui vient d’être refermée, Gaspard serre l’homme dans ses bras — remercier avec son corps, fraternellement — et chacun part de son côté ; Gaspard a retrouvé l’usage autonome de ses jambes.

Il n’est ni lourd, ni léger, ni soulagé, ni tendu, c’est un état qu’il ne connaît pas, ou alors de très loin, si loin… Continuer à faire fonctionner ses jambes.

 

Plus que 365 jours… (131/365)

Ardeurs de juin — X

Gaspard, mon cher Gaspard,

Avant toute autre chose, je veux te dire que, quoi qu’il arrive, je reste ta meilleure amie, ta confidente si tu le souhaites, et toi tu restes mon meilleur ami, mon confident le plus précieux, celui à qui l’on peut tout dire ; comme tu l’écris dans ta lettre, que j’ai lue et relue, que je lis et relis, rien ni personne ne peut ni ne pourra nous enlever cela.

Au fil de toutes ces années passées ensemble, des lettres échangées, des paroles prononcées, des silences complices, toi et moi sommes devenus experts d’entrelignologie — tu te souviens des tous ces mots que nous avons inventés en nous écrivant, en faisant l’amour, en cherchant des prénoms pour les enfants, en imaginant les histoires que nous leur racontions ? Recommençons, écrivons-nous à nouveau, plus souvent, joyeusement, inventons des mots pour ce qui nous arrive, restons vivants, soyons heureux !

Je ne te cache pas, mon cher Gaspard, que ton courrier m’a d’abord perturbée. J’ai lu et relu ta lettre — merci de ne pas l’avoir publiée, ou fait publier, je ne sais pas exactement ce qu’il faut dire ! merci de ta délicatesse et merci de tes mots, surtout ! —, j’ai lu et relu le résumé des épisodes 1 à 126, j’ai mis du temps à réaliser, comme toi sans doute, mais j’y suis parvenue. Un auteur, quelqu’un comme toi en somme, et comme notre cher fils Antoine, s’est donc emparé de notre histoire et la fait publier sur un blog, c’est beau je trouve, et si contemporain !

J’ai mis du temps à trouver ce blog, mais je l’ai trouvé ! Sais-tu comment ? Je te le dis dans la lettre annexée, gardons un peu d’intimité, et montrons au Monde entier que les vrais personnages échappent à leur auteur, au narrateur et à la rédaction, surtout lorsqu’elle édite sans bourse délier ! L’histoire est intéressante et très contemporaine. Je proposerai bientôt un résumé complet à la rédaction et je te l’enverrai, tu mérites de connaître toute l’histoire — l’entrelignologie a tout de même des limites !

Comme tu le devines dans ton résumé, mon  entrelignologue préféré, cette histoire est truffée de personnages qui sont parvenus, plus ou moins consciemment, à une charnière de leur vie. Il y a plusieurs héros, me semble-t-il, mais il faut que tu saches que toi et moi sommes au centre, avec Heinrika et Fernando. Oui, Gaspard, j’ai quelque chose à te dire, moi aussi, et je te le dis ici, car le.a lect.eur.trice virtuel.le le sait déjà. Il y a Heinrika mais il y a aussi Fernando.

Fernando est ce monsieur qui habite la tour qui domine notre jardin, cet homme timide qui dit bonjour quand on le croise,  celui que nous avons toujours salué humblement pour qu’il comprenne qu’il pourrait nous parler quand il voudrait, faire sortir sans honte ces mots qui semblaient bloqués en lui. Et bien Fernando est venu et les mots sont sortis, grâce à Pessoa. Ces belles choses que tu as vécues avec Heinrika et que tu vivras sans doute encore dès octobre — tes mots le disent si bien, sans rien me cacher, sans me blesser —, je les vis tous les jours avec Fernando. L’amour n’est pas loin, mais nous le retenons encore, un peu comme ces romans que nous lisons à petits pas, de peur d’arriver au bout trop vite. 

Oui, Gaspard, nous sommes à un carrefour de notre vie. Si nous voulons être à la hauteur de notre amour, nous devons être capables de nous laisser partir. Nous nous le sommes promis, comme toi, je m’en souviens. Mais toutes les promesses doivent-elles être tenues ? Oui, à condition qu’elles aient été prononcées librement. Celle-ci le fut. Cela ne signifie pas qu’elle est facile à tenir, ni pour toi, ni pour moi, mais toi et moi savons que nous allons rester amis, confidents, complices, rien ni personne ne peut ni ne pourra nous enlever cela.

Sans la communauté qui est née autour de moi, avec moi, jamais je ne pourrais accepter que tu me laisses la maison et le jardin, c’est nous qui avons fait ce lieu, nous et les enfants. Mais maintenant notre lieu fait vivre et revivre des humains, et ces humains le font vivre autrement, en lien avec d’autres lieux dans lesquels d’autres humains essaient aussi de faire changer le Monde. Alors j’accepte que tu me laisses la maison et le jardin, j’accepte que tu ne prennes que le strict nécessaire pour poursuivre ton chemin, j’accepte que tu arpentes le Monde et que tu vives de ta plume, oui Gaspard, je te laisse partir si c’est ce que tu veux, mais je continuerai à dire notre maison, notre jardin, tu y auras toujours ta place, repasse quand tu veux, présente-moi Heinrika, invitons les gens de l’alpage jurassien, les deux fifres bâlois, amène aussi Odile et Anton, il y a ici des belles personnes que j’aimerais vous présenter.

Ce que tu prends pour de la distance, lorsque tu parles de la carte que je t’ai envoyée à Olten, n’est pas exactement de la distance. Je me sens toujours très proche de toi mon Gaspard, de nos valeurs, de nos idéaux, mais je ne savais pas comment te parler de Fernando, je cherchais encore, j’attendais le bon moment ; tu l’as bien senti entre les lignes et c’est sans doute ce qui t’a poussé à parler le premier, et de cela je te suis infiniment reconnaissant, mon Gaspard.

Tu me permets de t’appeler encore mon Gaspard, Gaspard, même si on n’a jamais été mariés, même si je te laisse partir ?
Je t’aime Gaspard — tu sais que je ne dis pas facilement ces mots — et je te laisse partir. Merci de m’avoir écrit que tu m’aimes et que tu me laisses rester dans la maison et dans le jardin, mais tu y auras toujours ta place, je te le redis.

Mathilde

 

 

Plus que 365 jours… (130/365)

Ardeurs de juin — IX

Nufenen, Medels, Fluegrind, Splügen, Wissbach, Sufers — plouf in Sufnersee —, Crestawald — Festungsmuseum: geschlossen ! —, Lai da Seara: barré, Grava, Andeer, Cresta, Clugin, Donat, Zillis, Reschen, Thusis — capturer l’Albula et lui proposer son nom —, Fürstenau — jeter un regard au Schloss Schauenstein —, Tuma, Realta, ne pas s’ennivrer à Rothenbrunnen, se désaltérer à Rhäzüns, Bonaduz, se jeter dans le Rhin antérieur au château de Reichenau — ou lui ouvrir les bras, on ne sait pas très bien —, perdre son nom, tous les deux, en choisir un nouveau — plus court, plus sexy —,  Donat / Ems, Felsberg.

Sauter d’une rive à l’autre, faire le pont. Gauche, droite, sans traîner ! Chanter, ça use, ça use. Surplomber sans tomber. Plein nord. Azimut. Falaise à babord, falaise à tribord. Gauche, droite, au pas. Charybde, Scylla, feu ! Forêts, marais. Admirer les tresses qui précèdent le mariage.

Pour enterrer sa vie de garçon, le Rhin postérieur capture l’Albula et lui pique son nom. Pour le remercier — elle n’en pouvait plus de ses parents très protestants — elle lui fait des tresses avant qu’il se jette dans les bras du Rhin antérieur et qu’ils se pacsent — ou que le Rhin postérieur se jette dans lui —, mais peu importe, depuis Reichenau il n’y a plus qu’un Rhin, le Rhin. L’Albula serpente librement au milieu des Rhins, elle aime être mariée en sous-marin avec deux hommes pacsés — elle n’en pouvait plus de ses parents protestants, alors elle bénit ces eaux païennes qui lui offrent le gîte.

En arrivant à 7000 Chur, Gaspard se dit qu’il aurait dû tout noter, les numéros postaux, les altitudes, les profondeurs, les lieux-dits, bref, bosser sa géographie et devenir facteur ; mais quand il voit la gueule du préposé qui lui tend la lettre et sa carte d’identité à travers le guichet, il se dit, Gaspard, que marcheur c’est mieux que facteur, sauf dans la Jument verte, ou lorsqu’on s’appelle Cheval, Joseph Ferdinand Cheval.

Si on est perdu, on clique ici !

Plus que 365 jours… (129/365)

Ardeurs de juin — VIII

Une sentinelle de tir le renseigne, la troupe est là pour dix jours ; alors il fait une croix sur l’amphithéâtre du chevelu, Gaspard, il reviendra une autre fois, seul ou accompagné. Il aurait aimé, Gaspard, marcher dans les traces de son père, se convaincre qu’il est grand, tester sa mémoire ; quelles montagnes peut-il nommer sans recourir à la carte ? Tant pis, ce sera pour une autre fois, peut-être avec l’un des enfants, ils aiment retourner en montagne pendant leurs séjours en Suisse, séjours trop rares selon Mathilde. Mathilde et lui les ont beaucoup emmenés à la montagne lorsqu’ils étaient petits, les enfants, à toutes les saisons.
Comment ils le leur diront, aux enfants, s’ils décident de se séparer ? Lorsqu’on est adulte et qu’on vit à l’étranger, ça change quelque chose que ses parents vivent ensemble ou séparés ? Il ne sait pas Gaspard, il aurait vraiment eu besoin de marcher dans les traces de son père, ce père qui ne s’est pas séparé de sa mère, de se sentir grand, Gaspard, de marcher tout seul jusqu’au cirque dominé par le Glacier du Paradis.
Maintenant, c’est le lourd qui l’emporte, alors il marche Gaspard, il se laisse couler le long du Rhin postérieur en direction de Coire, mais son pas est pesant.

Plus que 365 jours… (128/365)

Ardeurs de juin – VII

Il préfère les montées, Gaspard, c’est pourtant léger qu’il dévale la pente  vers Hinterrhein, il volerait presque. C’est qu’il a écrit Gaspard, il a écrit à Mathilde. Ça lui a pris du temps à Gaspard d’écrire à Mathilde, de trouver les mots justes, de les agencer, de les relire, de tracer, de raturer, de recopier, de déchirer, de recommencer. La lettre est plus courte que prévu, mais elle est a une annexe, le résumé fourni à la rédaction il y a quelques jours ; il s’est dit, Gaspard, que ce serait un bon éclairage complémentaire, un éclairage honnête, il est convaincu que Mathilde y sera sensible, il a bon espoir d’avoir de ses nouvelles à la poste de Coire. Il se sent à la fois léger, comme quand on a fait son devoir, et lourd, comme quand on attend un résultat ; jamais il n’a dû écrire comme cela à Mathilde, Gaspard, mais il a fait sont devoir, autrefois ils se sont promis de tout se dire, alors il a honoré sa promesse, comme elle l’aurait fait. Ce n’est pas pour lui qu’il a la boule au ventre, mais pour elle, comment va-t-elle réagir Mathilde ? Et si elle a besoin de soutien, Mathilde, sur qui pourra-t-elle s’appuyer ?
Mais pour l’instant, c’est le léger qui l’emporte, alors il se hâte vers la vallée, le petit matin est frais, il a bien dormi, la veille il a glissé son enveloppe dans la boîte aux lettres de l’Hospice du San Bernardino. Mais alors pourquoi s’arrête-t-il net, juste à l’endroit où le sentier est presque parallèle au Maseggbach qui est dans sa dernière ligne droite avant de se jeter dans le Rhin postérieur ? Un bruit anormal, un coup de tonnerre dans un ciel bleu – le ciel de ce petit matin frais est bleu –, puis un second, puis un troisième. Il ne compte plus, il a compris. Le premier coup provenait d’un char de commandement qui lance un exercice, et les autres suivent, évidemment. Il enrage Gaspard, des chars sur la place de tir d’Hinterrhein, il ne pourra pas remonter ce bras du fleuve – le Rhin postérieur – Scheisse Schiessplatz ! répète-t-il très vite plusieurs fois, la route est barrée pour les militaires qui tirent, le seul endroit de Suisse où ils peuvent tirer avec de vrais obus, de vrais obus dans des chars allemands le long d’un bras de fleuve alimenté par le Glacier du Paradis, Paradiesgletscher, il enrage Gaspard, Scheisse Schiessplatz ! Il aurait préféré un vrai orage, il aurait dévalé la pente à côté du torrent, le Maseggbachil aurait trouvé un abri au fond de la vallée – une marquise de béton sous laquelle se planquent les militaires – et il aurait contemplé le spectacle, Gaspard, l’orage au fond de l’auge glaciaire. Les torrents qui enflent et font monter le fleuve, les éclairs, le tonnerre – le vrai ! –, les cailloux qui roulent, la pluie qui fouette, le vent qui hurle. Une fois, c’était vers le milieu d’une journée d’août avec son père, il avait assisté au spectacle, il avait dix ans, il n’avait pas peur, son père était là. Après l’orage, le temps s’était levé et ils étaient montés dormir à la Zapporhütte. Chemin faisant, son père lui apprenait à lire le paysage, le bras du fleuve, les torrents, le fond plat de la vallée, ses versants verticaux – on appelle ça une auge glaciaire, lui disait-il, et Gaspard buvait ses paroles. Son père lui désignait aussi de grandes sentinelles, pas des militaires, mais de hauts sommets, fiers gardiens de ce château d’eau d’Europe : Chilchalhorn, Lorenzhorn, Schwarzhorn, Höhberghorn, Zapporthorn, Breitstock, Piz Moesola, Marscholhorn. Depuis la Zapporhütte, Gaspard et son père avaient suivi un chemin jusqu’à ce qu’il s’arrête net, comme un cul de sac, en plein milieu d’un cirque, à 2400 mètres d’altitude. Et de ce point central, son père lui montrait des fils d’eau qui dévalaient l’amphithéâtre pour alimenter le Rhin postérieur – on appelle ça un chevelu hydrographique, lui disait-il, et leurs rires explosaient dans le cirque comme des torrents pendant l’orage. Ils reprenaient leur souffle et le père apprenait encore à Gaspard le nom du glacier qui alimentait le Rhin chevelu : Paradiesgletscher.
Cochons de militaires, pensait Gaspard, et à sa rage se mêlaient des larmes pour son père disparu.