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Neige de mai – XV

C’est le rêche qui le réveille, et le trop chaud, ou plutôt l’odeur du rêche, de ce rêche-là en tout cas, lorsqu’il est trop chaud.
En cherchant bien dans sa tête libérée du casque, il pourrait sans doute trouver quelques bons souvenirs gris-vert, et encore, il faudrait nuancer cet antonyme – suffit-il de ne pas être mauvais pour être bon ? Mais l’odeur du rêche trop chaud de la couverture à croix blanche est assurément un souvenir pénible, un souvenir qui réveille brusquement, qui dresse d’un coup, comme on vous dresse dans une caserne au milieu de la nuit pour rejoindre la place d’appel où l’on vous range par tailles.
Mais Gaspard ne se dresse pas, une jambe contre la sienne lui rappelle qu’il n’est pas seul sous la couverture qui est devenue trop chaude sous l’effet des deux corps qu’elle recouvre. Il se dégage doucement du rêche et reste contre le doux. Il la regarde dormir. Il sourit. Avant d’ouvrir tout à fait les yeux, elle le regarde la regarder dormir. Elle sourit, ouvre complètement les yeux, mais il y a une légère ombre à son sourire et dans ses yeux, comme si elle avait voulu le contraire, se réveiller la première, le voir dormir lui. Elle se dit qu’elle aura d’autres occasions. Heinrika et Gaspard se dégagent de la couverture, se lèvent des chaises – ces chaises qu’ils ont installées tout à l’heure côte à côte contre le mur chaud de la terrasse –, voient les peaux de moutons qu’on a glissé sous leurs pieds nus et jouissent de la caresse de cette laine bouclée en pliant, à deux, comme ils le faisaient enfants avec leurs frères et soeurs, la couverture rêche dont Odile les a recouverts jusqu’aux épaules. Qui d’autre qu’Odile ? elle sera rentrée plus tôt que prévu, elle est comme ça, Odile, on l’aime comme elle est, Odile, et on a bien raison. Ils rangent la table – cahier, carnets, crayons, plumes – en se disant qu’Odile est vraiment une bonne personne, elle n’a troublé la scène en rien, elle y a simplement ajouté de la douceur, du confort à ce moment de repos qui suit le partage de mots, de traits, de paroles, de rires, mais pas encore de gestes et de mouvements ; chacun se dit, dans sa tête, qu’un drap entre eux et le rêche de la couverture aurait été bien agréable, mais ce temps n’est pas encore venu.
Parler d’Odile ou penser à elle suffit en général à la faire apparaître, Odile. La voici justement qui arrive sur la terrasse avec un plateau. Plus de rougeur sur son visage, son calme est olympien, tout est rentré dans l’ordre grâce à la cuisine ; les ingrédients de la tortilla en ont par contre pris un coup, surtout les oeufs, c’est à ce prix qu’Odile est redevenue maîtresse d’elle-même après ce congé raté, cette sorte de dies horribilis. On ne fait pas de tortilla sans casser d’oeufs, même à Hospental.