Plus que 365 jours… (107/365)

Neige de mai – X

[cahier noir – extrait]
Qu’est-ce qui empêche une maison de tomber en ruines ? Ses habitants, ça tombe sous le sens ! Mais une maison habitée est-elle forcément à l’abri de tomber en ruines, est-elle immanquablement à l’abri de ceux qu’elle abrite, sous la protection de ceux qu’elle protège ?
Je n’ai pas de réponse à la dernière question et je dois bien avouer que ces derniers temps, Mathilde et moi peinions à habiter notre maison. Quand je suis parti, cette nuit de réveillon – dernière et première nuit de l’année –, avec son accord, je pense que notre maison commençait à être moins à l’abri, comme au seuil de ce qui peut devenir un abandon. Avant mon départ, qui n’était pas le premier – j’ai régulièrement besoin de marcher seul, plusieurs jours ou semaines d’affilée, elle a ainsi appris, au fil du temps, à apprivoiser la solitude –, nous avons convenu qu’à mon retour, en principe en automne, peut-être plus tard, nous devrions parler de la maison, de ce lieu qui changeait en même temps que nous. Au fil des années les enfants sont partis, et je crois que nous pouvons dire, mais modestement, que nous sommes réellement parvenus à les mettre au Monde – expression qui m’émeut chaque fois que je la prononce ou que je l’écris. Au fil des années la maison s’est ainsi dépeuplée, a été le théâtre de moins de va-et-vient, surtout côté jardin. Moins de bruits, moins de mouvements, moins de visites, moins de fêtes. Et comme le dehors est en lien avec le dedans, le dedans s’en est peu à peu ressenti.
Nous avons donc convenu, Mathilde et moi, que nos retrouvailles de la fin de l’automne seraient particulières, plus chargées que d’habitude, car nous devrions parler de l’avenir de la maison, donc aussi du nôtre, le dehors étant lié au dedans et le dedans au dehors.
Au fil du chemin, mes idées s’éclaircissent. J’ai marché beaucoup moins que prévu, mais j’avance, une étape après l’autre, au rythme qui me convient, à chaque étape son tempo. Beaucoup des ces étapes ont été définies par l’accueil, l’alpage jurassien, la placette bâloise et maintenant cette auberge d’Hospental. Dans chacune de ces maisons des habitants intimement liés au bâti, à la fois solides comme des colombages et fluides comme des fenêtres, à la fois massifs comme une charpente et élancés comme un porche. Ces habitants m’ont chaque fois accueilli, comme ils en accueillent d’autres, pourtant, avant d’accueillir, chacun de ces habitants a vu une maison se dépeupler. Faut-il en passer par là pour réapprendre l’accueil, pour réapprendre à être ensemble ? Repeupler la maison ? J’y songe chaque jour un peu plus, ou presque chaque jour, en souhaitant que Mathilde y songe aussi, en espérant même qu’elle ait déjà entrepris quelque chose dans ce sens – Mathilde est beaucoup plus forte que moi pour entreprendre.

Les jours où je ne songe pas à cela sont peu nombreux, mais ces jours-là je songe à l’exact contraire.