Plus que 365 jours… (102/365)

Neige de mai – V

Cet espace carré, ce cube tronqué, n’est pas sur une carte, ni sur un plan, mais il possède ses propres plans. Ces plans sont la synthèse de discussions qui ont eu lieu dans une maison au milieu d’un jardin, et dans le jardin lui-même – sur la carte on voit la maison et la limite de la parcelle, donc du jardin, mais pas la cuisine dans laquelle ont eu lieu beaucoup de ces discussions.  Ces plans ont été dessinés par Mathilde. Lorsqu’il a vu ces plans, Denis – menuisier, ébéniste, lecteur de polars, fidèle client de Marguerite, auteur de plans d’un métier à tisser que sa femme Hélène désire ardemment voir construit avant le déluge – a loué le travail, fond et forme : pas le moindre détail à changer ! C’était chez Mathilde, lors du repas qui a suivi la fondation de l’association Vivre ici. -J’ai le bois qu’il vous faut, un beau lot de planches d’épicéa hérité d’un cousin paysan-forestier dans la vallée qui descend du col de Jable et où coule le Meielsgrundbach jusqu’à Grund bei Gstaad où il se jette dans la Sarine que les gens de là-bas appellent Saane. Vous verrez poursuit-il – fluide et clair comme un torrent –, avec le temps et le soleil ce bois donnera une teinte magnifique à notre cabane, sans adjonction de quoi que ce soit. Selon feu mon cousin, dans la chimie du sol de cette vallée il y a quelque chose qui fait que l’épicéa ne devient pas gris au fil des années, mais plutôt couleur miel, un beau miel de sarrasin auquel on aurait rajouté un peu d’orange pour qu’il ressemble à certains miels de bruyère !

Plus que 365 jours… (101/365)

Neige de mai – IV

Cet espace est carré, mais ce n’est pas le carré d’une carte. Cet espace est carré, mais n’est pas sur une carte – les vrais lieux ne figurent pas sur les cartes, nous rappelle le grand Herman Melville. Si les vrais lieux ne sont pas sur les cartes, cela veut dire qu’on ne peut pas lire la carte puis aller vérifier in situ, il faut plutôt être in situ, regarder ce qui manque sur la carte et le rajouter, ou pas. Encore faut-il pouvoir et maîtriser l’échelle. Si un jour cet espace carré, ce vrai lieu, figure sur une carte, on ne le verra pas ; un cinquième de millimètre, ça ne se voit pas sur une carte au vingt-cinq millième. Il faudrait changer d’échelle pour que l’on voit mieux cet espace carré. Au dix millième – quand la carte devient plan – notre espace carré ferait un demi-millimètre ; il faut avoir de bons yeux pour voir un demi-millimètre, alors pour mieux voir, on serait tenté de changer encore d’échelle, et on aurait peut-être envie de voir aussi les rectangles qui forment ce carré – ces rectangles qui proviennent des versants de la petite vallée dans laquelle coule le Meielsgrundbach –, et ainsi de suite ; on finirait par arriver à la réalité – l’échelle 1:1 –, alors on verrait tout et tout le monde pourrait dire qu’il sait lire la carte, sauf que la carte serait aussi grande que la réalité et la recouvrirait en entier. La réalité masquée par la carte alors que la carte est censée la représenter, la simplifier, la synthétiser, mais ce serait le monde à l’envers, l’océan chaviré, le marin déboussolé, le train égaré ! Dieu que ce texte est carré !