Neige de mai – II
Deux marcheurs se faufilent dans le brouillard de ce jour blanc. Ils savent bien que les chemins qu’ils empruntent ne sont pas des fils, ni des faufils, et tandis qu’ils écoutent les silences profonds dont les parois leur renvoient les échos, ils se disent, les deux marcheurs, qu’ils faufilent quelque chose, quelque chose qui se tisse fil après fil, quelque chose qui peut devenir solide. Ils se le disent sans mot, leurs pas sont un accord tacite.
Les deux marcheurs qui se faufilent dans le brouillard de ce jour blanc savent très bien qu’ils marchent en fait sur des traits, des traits indiqués sur des cartes dont il n’ont pas besoin puisque celui qui est habillé en rouge, et qui est suivi par le second, connaît le tracé. Ils n’ont pas besoin des cartes qu’ils savent pourtant lire – et pas de travers. Ils savent que sur ces cartes les traits qu’ils suivent sont noirs, pleins ou tillés et ils savent que sur certaines cartes ces traits noirs, pleins ou tillés ont été passés en rouge pour dire qu’on est en montagne, ce qui se voit pourtant bien sur les cartes, si on sait les lire et ce qui s’entend bien quand on marche tacites et qu’on écoute les échos des silences profonds qui ricochent sur les parois. Alors pourquoi passer les traits en rouge ?
Ils savent, les deux marcheurs, que la plupart des traits sur lesquels ils se faufilent dans le brouillard de ce jour blanc sont tillés et comme le jour est blanc, peu importe que ces traits tillés soient noirs ou passés en rouge sur les cartes, pour eux qui marchent ils sont blancs, blancs comme les faufils de quelque chose que l’on veut coudre.
Silencieux, les deux marcheurs qui se disent qu’entre eux quelque chose se tisse et se coud, descendent et remontent par le même chemin, comme on coud quelque chose qu’on a d’abord faufilé.
Hospental – Andermatt – Göschenen – Andermatt – Hospental.
Anton – Gaspard.