Plus que 365 jours… (98/365)

Neige de mai – I

Aussi loin qu’il se souvienne, il y a du blanc en mai, des blancs, différents de ceux de janvier, mais pas tous.

Le blanc dont il est sûr, c’est celui du viburnum opulus roseum, une viorne qui se couvre de boules blanches au printemps, on l’appelle aussi boule de neige. Il y avait un arbuste de ce type dans le jardin des gamins turbulents qu’ils étaient et qui commençaient à communier en mai ; du coup, les gamins turbulents qu’ils étaient pouvaient devenir enfants de choeur. Lorsqu’ils communiaient pour la première fois, l’arbre était couvert de boules d’un blanc légèrement crémeux, léger, mousseux, la neige de mai. Lui, il s’imaginait que c’était de la manne céleste.

Les aubes des premiers communiants étaient blanches, du même blanc que celui de janvier, l’aube de l’année ; l’aube d’une année dure un mois et ce mois est blanc, comme les aubes des premiers communiants qui cachent des gamins facétieux face aux cieux. Et quand les premiers communiants devenaient enfants de choeur – tous ses frères turbulents et lui y avaient passé – ils portaient une autre aube, d’un autre blanc, presque beige, comme les hosties. Il se disait que les hosties teintaient les aubes, pour ne pas que l’on confonde les premiers communiants turbulents avec les enfants de choeur, qui ne l’étaient pas forcément, enfants de choeur. Il se souvient d’ailleurs d’une première communiante qu’il regardait. Qu’est-elle devenue ? Toujours oie blanche ? Sainte-Nitouche ? Mariée en blanc ? Mariage blanc ? Couple distant ? Couple glacial ? Couple grillé ? Amour frigide ? Tombée de haut ? Toute crevassée ? Au fond du trou ?

Quand il a ces pensées, Gaspard, la route du col n’est pas encore ouverte, on est le 1er mai. Il marche dans le blanc, il y en a sous ses pieds et autour de lui, jour blanc. Il suit du rouge, un mètre devant lui, Anton, qui n’est pas habillé en orange ce jour-là, car il ne travaille pas. Etonnamment, Anton est rouge, ce qui est rare dans ces contrées où l’on est plutôt noirs, la couleur des catholiques, ces drôles de gens que l’on baptise en blanc et qui communient en beige, que l’on marie en blanc mais que l’on enterre en noir, donc en catholiques. Ensuite ils montent aux cieux qui ressemblent au brouillard dans lequel Anton marche avec Gaspard. Quand on est rouge on ne travaille pas le jour du muguet, on défile ; mais dans ces contrées noires et primitives, là où habite Anton, pas de défilé pour les rouges. Alors au lieu de défiler en groupes, comme dans les villes, on part marcher seul dans des défilés que l’on enjambe grâce à des ponts du diable, le diable qui est rouge, c’est bien connu, donc les rouges c’est le diable, c’est en tout cas ce que pensent les noirs dans ces contrées catholiques. Alors pas de défilé d’ouvriers, pas de défilé rouge, le rouge se défile, seul sur les ponts du diable, étroits fils jetés par-dessus des défilés ; fils rouges.

En suivant Anton dans le blanc, ce blanc intense qui par moments masque le rouge, masque Anton, Gaspard pense à la première communiante qu’il regardait. Auraient-ils pu marcher ensemble, faire un bout de chemin ? Qui serait devant, Gaspard ou l’oie blanche ? Jeu de l’oie ? Blanche est Gaspard ? Le silence est d’or, bec en or. Peut-être que le fil rouge de sa vie rencontrera à nouveau ce blanc, ce blanc ou une autre couleur subtile, se dit celui qui n’est plus premier communiant et encore moins enfant de choeur.

Aussi loin qu’il se souvienne, il y a du blanc en mai, mais mai est-il blanc pour autant ? Pas sûr.