Plus que 365 jours… (78/365)

Avril est vert – III

En avril, ne te découvre pas d’un fil.

C’est à cela qu’il pense celui qui marche sous les cordes déchaînées, celui qui marche et qui cherche un abri pour une courte halte. Il avise un avant-toit, une grange isolée. Il s’y arrête, s’y dévêt, s’y revêt, comme dans un rêve. Lorsqu’il reprend le fil, du chemin, il a ajouté une couche entre son corps et la veste imperméable, des brins, de la laine finement tricotée. Il aime marcher sous des cordes, surtout lorsque celles-ci sont tranchées par des hallebardes qui pleuvent par dessus elles ; ainsi hachées, les cordes deviennent ficelles, comme des légumes en julienne. Il aime les jours ficelles, on peut tracer sans être retenu par le paysage, il est planqué le paysage, sous du coton, en pelotes, il retient les pelotes, le paysage, elles s’accrochent au paysage, les pelotes. Mais des fois, dans ces vallées où il trace en direction d’Olten – ce noeud ferroviaire – les pelotes déboulent, se déroulent et laissent apparaître des bribes de paysage, les tables du Jura et des silhouettes de châteaux. Le temps rend patibulaire le Jura tabulaire et sinistres ces silhouettes de châteaux. Où pique-niquer par ce temps pas beau, à la table d’un de ces châteaux ? Mais qui serait assez bon prince pour l’accueillir, lui qui n’est pas charmant, lui qui ressemble au temps ? Alors il grignote en marchant, mais pas à pas de saucisses, il ne perd pas de temps, il file sur les chemins et le fil de l’histoire avance avec lui – pas d’histoire sans fil –, l’histoire de celui qui n’a pas si faim et qui grignote, par petites touches de couleurs, l’histoire qui laissera peut-être le lecteur sur sa faim quand il sera au bout, à la fin. Au loin ça tonne, mais est-ce déjà la fin ? Peut-être juste les coups de ce qui va suivre. Coups de théâtre ?

En mai, fais ce qu’il te plaît.

Plus que 365 jours… (77/365)

Avril est vert – II

Blanc, orangé, marron, noisette, points verts, vert point

Lorsqu’il prend la route, le carnaval est terminé depuis quelques jours, pourtant c’est lui, le carnaval, qui lui montre le chemin. Aux couleurs des mois écoulés s’ajoutent du jaune, du rouge, du bleu, du violet, du noir, sous forme de points. Il ne se sent ni géant ni poucet, ni seul ni abandonné, il se sent bien sur ces routes et sur ces chemins ponctués de points, ces points de papier qui marquent les traits des chemins, ces traits multicolores qui lui donnent l’impression de marcher sur une carte, traitillés, pointillés, confettis.

Orangé, marron, noisette, points verts, vert, blanc.

Sur les chemins il traine, mais il n’est pas un vers blanc. Il se baisse pour ramasser des points de couleurs. Plus tard il les collera dans son carnet pour se souvenir des paysages qu’il a traversés, car il est pointilleux et veut se souvenir de tout, garder des traces, il est lent, comme un escargot. Il aimerait bien être pointilliste, mais il ne sait pas, et il n’ose pas savoir. Est-ce cargo ? Con, fait-i’ !

Marron, noisette, points verts, vert, blanc, orangé.

Au début, les traitillés suivent un autre trait, plein, plus large, plus bleu – il le voit bien depuis le terre-plein sur lequel il marche en suivant les point colorés qui forment le traitillé de son chemin, il le voit bien que le trait plein est plus large et plus bleu, de bleu ! Ce trait plein c’est le Rhin. Savoir que c’est le Rhin, ce trait plein, lui fait du bien sur son terre-plein. Il boirait bien un peu de cette eau, cette eau du Rhin, mais elle n’est pas filtrée. Ses reins à lui filtrent une autre eau, celle qu’il lâche ensuite au fil du chemin, un fil jaune. Quand le chemin est blanc, il le ponctue de jaune. Alors, n’est-il pas un peu pointilliste lui qui ose lâcher des gouttes jaunes sur le blanc du chemin ? Confettis.

Noisette, points verts, vert, blanc, orangé, marron.

Tandis que de l’eau jaune descend de ses reins lui le remonte, le Rhin. Mais un petit bout seulement. Il le quitte pour aller vers l’immense gare de triage – Muttenz. Lui a aussi ses gares de triage – deux reins – qui séparent la bonne eau de la mauvaise, comme des séparatifs – deux reins. Pratteln a aussi sa gare – avec un i ça ferait si gare, sixgares – et depuis Pratteln son chemin suit la voie, il devient donc de fer, comme la voie du chemin de, et du vieux fer, car la voie du train est historique, c’est la voie du Hauenstein.

Points verts, vert, blanc, orangé, marron, noisette.

Puis le chemin devient sentier et se faufile entre les couleurs pour mener sur une petite hauteur – Bienenberg, la montagne des abeilles. Le fil du sentier qui se faufile entre les couleurs est brun. Les couleurs entre lesquelles le fil brun du sentier se faufile sont du vert, principalement, du vert tendre pas encore tondu, et sur ce vert tendre pas encore tondu ont voit de petits bouquets, petits et ras, du jaune, du pervenche, du blanc avec des points d’or, encore du bleu. Au sommet de Bienenberg il n’est pas fatigué, il n’est pas essoufflé, ses oreilles ne bourdonnent pas – montagne des abeilles – mais il s’arrête. Il voit deux fils, bleus ; le premier coule dans le Rösernbachtal – le vallon du ruisseau des rosiers – ; le second coule dans l’Ergolztal – la vallée de l’Ergolz. Lorsque le fil bleu qui a le nom des roses se jette dans le fil bleu de l’Ergolz, on est à Liestal. Lorsque le fil rose se jette dans le fil bleu, le fil bleu reste bleu et ne tire pas sur le violet, ce qui serait logique avec du rose – mais on ne voit pas le point de confluence, car à Liestal le Rösernbach est canalisé, il est sous terre, alors il devient brun, et on comprend pourquoi le bleu de l’Ergolz reste bleu, mais bleu plus foncé, mais bleu plus épais, c’est à cause du brun. Et les deux fils qui ne font désormais qu’un, les deux fils réunis tirent vers le nord et vont se jeter dans le Rhin. Il remontent le Rhin pour s’y jeter, à Kaiseraugst, cette vieille cité qui faillit devenir nucléaire. Mais grâce aux citoyens sans cécité de la vieille cité, et grâce à Tchernobyl, le projet qui ne tenait plus qu’à un fil fut cassé, abandonné, rompu. Grâce au fil rompu le fil du Rhin ne fut pas nucléaire, ce qui n’empêcha pas Tchernobâle, quelques mois plus tard. Pas de fil nucléaire donc, mais un fil chimique. Et la chimie sans fil, aux abonnés absents. Circulez dirent les chimistes et les autorités, il y a Rhin à voir, le fleuve filtrera tout, comme nos reins. Mais l’histoire ne dit pas si à cause du Rhin chimique des gens se mirent à pisser de toutes les couleurs. La grande histoire avec H ne parle jamais de ces histoires-là, ce sont de petites histoires, la toute petite histoire avec p, celle des petites gens, et aux petites gens on dit : Pissez pas là, y a rein à voir, allez boire ailleurs, passez voir par ailleurs pour aller boire. Et les petites gens se disent : Mieux vaut pisser de rire, sinon on pleure, et sans couleur.

Vert, blanc, orangé, marron, noisette, points verts.

A Liestal, le marcheur coloré remonte la rue dans laquelle il a vu descendre le feu dans le noir – et des cendres. Il passe la porte sous laquelle le feu faisait le gros dos, sort de la ville et avise une hauteur avec une ferme dessus. Le paysan l’autorise à camper. Il monte sa tente sur le dessus de la hauteur, à côté de la ferme. Il ne fait pas noir lorsqu’il monte la tente sur le dessus de la hauteur, à côté de la ferme, il fait plutôt orange sous les nuages blancs, on dirait que le soleil lui aussi veut se coucher. Lui monte la tente sur le dessus de la hauteur, à côté de la ferme tandis que le soleil descend sous le dessus de la hauteur, à côté de la ferme, et ils finissent par être ensemble pour se coucher dans le noir.

Blanc, orangé, marron, noisette, points verts, vert point

Plus que 365 jours… (76/365)

Avril est vert – I

Oui, avril est vert se dit le marcheur qui a décidé de se diriger vers les Alpes, mais autrement.

Autrefois ce pont de Bâle sur lequel il aime passer du temps, le Mittlere Brücke, était un segment hautement stratégique de la route du Gothard, le segment qui permettait, et permet toujours, de franchir le Rhin. Plutôt que de remonter le fil du Rhin, il a décidé de le franchir, le fil du Rhin et de marcher sur cette route historique. Le Rhin, il le reverra plus tard, à l’une de ses sources, et peut-être qu’il décidera alors d’en suivre le fil ; descendre le Rhin au lieu de le remonter.

Qu’est-ce qui l’a décidé, le marcheur parti du blanc, qu’est-ce qui l’a décidé à changer d’itinéraire ? Comment savoir exactement ? Il sait que durant les quelques jours passés à Bâle, chez les fifres, ce couple de musiciens amateurs d’art, ils ont parlé de Fritz, le douanier humaniste, et aussi d’art dégénéré. Dans l’appartement qui donne sur la petite place pavée il y avait ce tableau d’Otto Freundlich, Corps sphérique, et ils ont parlé de cet artiste, mort en 1943 dans un camp à cause de l’inhumanité des hommes qui traitaient son art de dégénéré. En 1905, à 27 ans, Freundlich est parti de Münich pour aller à Florence, artiste alors en formation, il a traversé les Alpes à pied pour aller séjourner quelques mois dans une ville façonnée par les arts. C’est sans doute un des éléments qui a poussé le marcheur parti du blanc à bifurquer, à partir vers le sud pour traverser les Alpes. Et en marchant – le Mittlere Brücke est déjà loin derrière – il pense à Corps sphérique, ce tableau d’Otto Freundlich ; sur ce tableau, il y a des verts de son enfance, et il pense que l’un de ces verts est le vert d’avril, le vert des vacances de printemps.