Plus que 365 jours… (87/365)

Avril est vert – XII

Le voici à Hospental, le marcheur. Une émotion le saisit, il se souvient être passé par là enfant, avec son père – un tour de Suisse durant les vacances de Pâques. Après avoir visité les grottes du glacier du Rhône, ils avaient franchi le Col de la Furka pour descendre sur la Suisse centrale et ils avaient dormi là, à Hospental. Il retrouve l’hôtel sans peine, s’installe sur la terrasse, commande à boire et demande si on l’autorise à pique-niquer, « Selbstverständlich, mein Herr ! »

D’instinct, il s’était installé à une table contre le mur qui retient le talus ; les pierres – tout comme les pavés de la terrasse – le réchauffent doucement. Il se sent bien ici, il a envie de rester un peu. Il se renseigne sur la date d’ouverture du col, un bon mois à patienter. Il hésite, prendre le train jusqu’au Tessin ou attendre ? Il en rêve de ce col mythique, jamais il ne l’a franchi à pied, mais un mois c’est long. Il réfléchit, lézarde contre le mur, enlève chaussures et chaussettes, envie de sentir le chaud sous ses pieds, les pieds comme pompes à chaleur. Il somnole. La serveuse – sans doute la patronne – s’excuse de le réveiller, elle venait voir si tout allait bien, s’il voulait quelque chose d’autre. Il est gêné. Elle lui sourit, lui explique qu’elle fait la même chose lorsque l’hôtel est fermé, le jeudi.

Ils se mettent à parler, du mieux qu’ils peuvent ; entre eux il y a du français fédéral – elle a quelques restes d’un vieux séjour en Romandie, elle avait vingt-deux ans – et de l’allemand militaire – il a quelques restes de vieilles périodes de service en Suisse primitive, pas très loin d’ci, il avait vingt ans. Elle lui dit que s’il veut patienter quelques semaines ici, elle lui fera un prix, c’est la saison creuse, et puis on pourrait parler, vous en allemand, moi en français, une sorte d’échange linguistique ! Il hésite de moins en moins, il a envie de rajeunir, mais aussi de prendre le temps d’écrire, de mettre au net des choses qu’il a dans son carnet, des mots, des gens, des lieux, des images. Et il se dit qu’il pourrait ainsi commencer à boucher les trous de son feuilleton, on est le 18 avril, cent huitième jour de l’année, et il n’en est qu’à l’épisode huitante-sept, plus de vingt jours de retard, mon capitaine !

Dans sa tête, son capitaine – un roquet de Montreux, très complexé – lui colle trois semaines de clou. A vos ordres, mon capitaine ! répond-il, comme on répond, en général, à son capitaine.

En gravissant l’escalier qui donne accès à la chambre que la patronne a choisie pour lui – la serveuse était bien la patronne –, le marcheur se dit qu’il n’aura jamais connu clou si doux.

– Selbstverständlich, Meine Dame !