Plus que 365 jours… (55/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – IV

On a fromage ail immense meurette !
Mais pas que…

Fromage pied cor pécore alpage nez pasteur cru lait marché marron couvert dur beau bio beau-bio dru pentu mur sec fruits sèche pierre thé café

Ail aïe cor cloques eau fil engelures insolation coup de mou coup de genou valetaille semailles sonnailles piétaille foulure fou Lurs

Immense essence barrière mousse lichen forestière fougère rien faire fête fou pointe sapin mamelon et digue don don

Meurette soeurette s’en beurre fleurette noisette giclette
pleurote chipotte sifflote grignote litote Hottentots hot
baratte silicate cat
mastoïdite ma p’tite cystite six Hittites
upercut

!

Oh reine do Léonce réclamation Valais balai chalet Jean vint foutre rater passer raclette from’ton quel nez ! quel né ? terreux neige bourgeon POINT

Plus que 365 jours… (54/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – III

Et les mots viennent sur l’échine jurassienne, captés par les sens qui sont cinq de celui qui marche, mots que certains pensent à rebours du bon sens alors qu’ils chantent une musique qui sent bon d’our rébus. Camille, dis-nous ces bérus et leurs saëns qui sont Saints. Et dis voir Camille, où va ce Bär ? Rejoindre des carnes au fond d’un fosse ? Ou est-ce le contraire, Camille, serait-ce une fosse que les carnes avalent ? Ou des oignons rangés en rangs d’eux-mêmes sur une merveille saupoudrée de glace sucrée qu’on enfournerait dans une ville chauffée à blanc ? Dis-nous Camille, dis-nous vite avant que la tour claironne quatre et lâche le gras dans la ville, on t’en supplie Camille, dis-nous au moins les mots récoltés par les sens de celui qui crapahute sans hutte, pour leur sens, on a tout le carême pour réfléchir, on pourrait même dire que ce serait son sens à notre carême, notre essence de carême, chercher le sens des mots de ses sens au gars qui marche sur deux pattes mais à rebours du sent bon. Allez Camille, ça pue le gras, dis-nous vite les mots de ses sens avant que la farine grille.

A table ! gueule Saint-Saëns, et il déballe les mots en se léchant les babines, on a fromage ail immense meurette !

Plus que 365 jours… (53/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – II

La ligne des crêtes redevient son chemin. Les deux mois passés à l’alpage – ce témoin des plus grandes tragédies du XXème siècle l’ont apaisé, lui ont permis de comprendre son faux départ de janvier, de mettre de l’ordre dans ses idées, de préciser ce qu’il cherche, d’imaginer des chemins pour le trouver. Aurait-il dû faire ça avant de partir ? Peut-être. Mais l’aurait-il pu ? En se remémorant les jours de décembre, il a des doutes. Au fil de sa vie surtout depuis qu’il lui suffit de multiplier par deux l’âge d’un des ses enfants pour trouver son âge à lui, cet enfant adulte qui a passé la moitié qui sépare vingt et trente ces journées les plus courtes de l’années sont devenues pour lui les plus longues ; il n’aime plus qu’on les prolonge artificiellement avec des lumières criardes qui éclairent des cabanons où l’on vend cher du vin chaud qui a d’abord tiédi dans des cubitainers bon marché, à côté d’autres cabanons où l’on cherche des cadeaux pour des fêtes qui n’en sont pas, ou plutôt qui n’en sont plus. Le smog hivernal envahit sa tête et ses poumons, alors il cherche à s’élever de la plaine. Cette année, il l’a fuie, mais quelque chose en lui savait qu’il n’avait pas tout posé de ce que l’on doit poser si l’on veut se détacher et bourlinguer.

Sur l’alpage jurassien il a posé ses impedimenta, grâce au silence, grâce à la parole et à l’écoute, mais aussi en lisant, des ouvrages tirés de l’immense bibliothèque mais surtout Chroniques, surgi un matin de janvier de dessous un plancher grâce à la lame de Paulinho ; il l’a lu en entier. Il s’est allégé sur cet alpage, mais il a aussi aidé d’autres à le faire, le couple d’hôtes, ceux qui ont repris le flambeau de ce lieu, ceux qui étaient arrivés quelques jours avant lui, avec leur énorme fardeau, noir.

Sur l’alpage jurassien il a posé ses impedimenta, il s’est rechargé, on l’a rechargé, comme on recharge un convalescent. Mais il s’est aussi rechargé d’autres choses ; maintenant il y a dans sa tête, et dans tout son corps, de nouvelles questions, nées des conversations, des lectures et surgies de Chroniques. Reprendre le chemin, c’est se remettre en mouvement, avec le corps et avec la tête. Il dialogue avec lui-même, avec le silence, avec la nature qui l’environne. Et tandis qu’il admire les murgers qui dessinent de vastes réseaux gris sur le blanc, ce blanc qui par places laisse apparaître du vert et du brun, il se dit qu’il lui faudra la même patience que les pâtres qui les ont érigés pour décanter ces nouveaux éléments entrés en lui, et peut-être épierrer.

Il avance maintenant d’un bon pas sur l’échine jurassienne, avec, en guise de compagnes, la rondeur des Vosges et la hauteur des Alpes. Lorsqu’il ne les voit pas, il pense à elles.

Plus que 365 jours… (52/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – I

[journal du marcheur – extraits]
début mars 2019

Mon sac était prêt depuis quelques jours, mon départ imminent – j’avais fait mes adieux à Paulinho – mais quelque chose me retenait encore dans ce lieu où l’on m’avait recueilli le 2 janvier. C’est mars qui est venu me chercher, subtilement, après m’avoir envoyé, les jours précédents, de discrets mais puissants émissaires. Des minutes de lumières en plus, deux fois par jour, des oiseaux toujours plus nombreux et plus bruyants, ces doux bruits qui précèdent et suivent les concerts, des senteurs qui reviennent, aidées par le mercure qui grimpe, les pieds qui laissent des traces dans la neige dès le matin et, sous ces traces, le vert et le brun qui nous font des clins d’oeil. Oui, il m’a fallu tout ça pour retrouver l’élan du 1er janvier.

De quelle couleur est mars, ce dieu de la guerre dont on a fait un mois – et moi, serais-je en guerre, contre qui, contre quoi ? Prendre garde à ne pas sombrer dans une marche forcée, garder tous les sens en éveil.
Mars, la guerre, peut renvoyer au brun du fascisme, ce fascisme qui a jeté sur les routes des femmes et des hommes comme Judith et Peter ; mars, le mois, renvoie aussi à la nature qui se réveille – reprend vie ? –, aux envies que provoque l’humus qui se réchauffe, à ces appels multiples lancés à nos sens excités. Et les bruns peuvent être mêlés, le brun du fascisme et le brun de la terre, c’est ce qui me revient à l’esprit chaque fois que je pense à Quel beau dimanche, livre essentiel de Jorge Semprún.

Prisonnier politique à Buchenwald – hêtraie –, Semprún assiste à certains de ces appels puissants et incompréhensibles. Chaque année, des prisonniers russes sont comme saisis par le printemps ; en plein travail, ils s’arrêtent, lâchent leur outil et se dirigent vers l’horizon ; leur raison devrait les en empêcher, car ils savent que s’ils s’approchent trop des barbelés ils seront tués par les sentinelles, mais la raison n’a pas sa place ici – pas plus que la pensée de Goethe dont l’arbre, un chêne, trône au milieu du camp –, l’appel auquel répondent ces paysans russes est irrationnel, c’est l’appel de la terre et du cycle des saisons qui continue. Alors, printemps après printemps, les mitrailleuses de Buchenwald fauchent ces paysans des plaines soviétiques, ces plaines dans lesquelles le blé n’est pas encore en herbe.

En reprenant mon cheminement, et ma quête des couleurs, je me rends compte à quel point mon regard a été influencé au fil du temps, et j’essaie de retrouver le point de départ de ce regard. Comment était mars quand j’étais enfant ? Je crois que déjà il était brun, ce mois qui coïncidait souvent avec les vacances de Pâques. Les skis étaient remisés, alors les vacances se passaient au jardin. J’aimais bien aider à la taille des arbres ; on m’autorisait à m’occuper des noisetiers, avec une petite scie et un sécateur. Je mettais de côté des branches dont plus tard on ferait – les enfants du quartier – des arcs et des flèches. J’aimais le brun de l’écorce et les couleurs claires qui apparaissaient sous l’action des outils que l’on me confiait, doux mélange de blanc, de jaune et de vert, mélange à l’odeur si particulière, odeur que je suis incapable de décrire mais que je peux reconnaître entre mille. Et sur cette écorce – dont la couleur change en fonction de la taille des branches, le brun du tronc ou des vieilles branches n’est pas le même que celui des branchettes, le vieux bois est brun terne alors que les jeunes rameaux sont plus roux , et brillants, comme si leur fonction était d’annoncer la couleur des noisettes –, je voyais poindre le vert tendre des bourgeons.
Le jardin, c’était aussi les plates-bandes que j’aimais préparer avec mon père, brunes comme la terre mouillée du printemps, brunes comme les planches et les piquets qu’on allait refaire à neuf pour que les petites terrasses tiennent bon dans la pente choisie pour aménager notre potager. Cette pente était une petite parcelle d’un vaste adret qui regardait un lac et des montagnes. Avec mes frères, dehors ou dans le garage selon la météo, parfois avec des enfants du quartier, on badigeonnait au carbolineum ces planches et ces piquets qui devraient tenir les plates-bandes aussi longtemps que possible. Il fallait mettre des gants et protéger nos peaux contre cette huile brunâtre obtenue par distillation du goudron de houille, mais on humait à pleins poumons les vapeurs de ce jus brun, vapeurs à l’odeur unique que l’on retrouve le long des vieilles voies ferrées, lorsque le soleil chauffe les traverses en bois, en bois de chêne, comme l’arbre de Goethe à Buchenwald.

Oui, dans mon enfance mars était déjà brun, mais avec des nuances chaudes et lumineuses ; je ne connaissais pas encore le sombre-obscure des dictatures.