Mars est marron, noisette, avec des points verts – XX
En moins d’un quart d’heure – vaudois –, Robert est de retour avec du pain, pour trois jours. Rose, qui vient de passer un tablier propre sur lequel on voit bien les plis du fer à repasser, remarque aussi qu’il s’est changé, presque endimanché ; discrètement elle frotte une manche de sa chemise maculée de farine, elle aime que son amoureux ait bonne façon. Joseph et Lili arrivent, avec des bouteilles et du fromage ; le repas peut commencer.
Pas de bénédicité, mais Mathilde souhaite la bienvenue à chacun, remercie à la ronde : la cuisinière, qui n’en finit pas de rosir, Robert, pour le pain, Joseph et Lili pour leur présence et leurs présents, Fernando, d’avoir tout déclenché en venant chez elle le 1er janvier et Paola, d’ajouter un si joli accent dans sa maison. Fernando remarque que Paola voudrait prendre la parole mais qu’elle n’y parvient pas, alors, pour camoufler le malaise de sa voisine, il lève son verre à la réussite du projet et à ses artisans. Les autres verres se lèvent et s’entrechoquent un certain nombre de fois. Cette fête improvisée commence de manière assez officielle, Mathilde esquisse le projet dans ses grandes lignes, précise que beaucoup d’éléments restent ouverts, que chaque nouvelle idée sera examinée avec bienveillance. Fernando enchaîne en précisant les rôles déjà connus et suggère à Joseph de seconder Robert pour la construction du four à pain, car il a l’air de s’y connaître en technique. Lili acquiesce, fière de son homme et prend la parole.
Joseph a l’intelligence au bout des doigts, mais aussi dans l’oeil, il sait tout faire, défaire les noeuds les plus difficiles, au propre et au figuré, et il n’y a pas meilleur champignonneur ! Quand il est arrivé chez nous pour louer une chambre avec d’autres Italiens, j’ai su que c’était l’homme de ma vie. Plus tard, lorsqu’il a demandé ma main, mon père a dit oui sans hésiter, il est plus âgé que toi ma Lili, mais vous êtes faits l’un pour l’autre, ça crève les yeux.
Lili est la meilleure femme du monde, continue Joseph – il se reprend, rougit un peu, va rectifier mais les trois autres femmes sourient pour lui dire de continuer – elle a la main verte, ses parents étaient maraichers, elle sera précieuse pour le potager, sans compter qu’elle sait tout cuisiner. Il déclenche un gros éclat de rire en ajoutant qu’il n’aimerait pas avoir à trancher entre la cuisine de Rose et celle de Lili. Puis c’est la surenchère : Paola, qui a pris de l’assurance, proclame qu’elle n’est pas née la femme qui fera des meilleures pâtes qu’elle, Mathilde les met toutes au défi de faire un papet plus succulent que le sien, Rose sort ses épines, mais pour de faux, Robert crie au sexisme et cite Girardet, Fernando débouche des bouteilles, Joseph remplit les verres, et on boit.
Après le fromage et les pommes au four, l’ambiance retombe un peu, on se tient moins droit sur les chaises, certaines paupières sont lourdes ; Paola en sourit et se met à parler des nepitelle, un dessert calabrais, des biscuits fourrés qui ressemblent à des yeux fermés ; ils accompagnent merveilleusement le café, je vous en ferai un jour, dit-elle en se levant pour moudre le grain, comme elle l’a vu faire durant la matinée. Pendant que l’eau monte paresseusement dans la cafetière, elle demande à Giuseppe – elle n’a pas envie de l’appeler Joseph – de quelle région il vient.