Mars est marron, noisette, avec des points verts – XXIV
En temps normal, la librairie est calme à cette heure-ci et Marguerite se prépare à fermer pour le week-end – depuis plusieurs années Albert et elle avaient renoncé à l’ouverture du samedi, pourquoi se priver d’aller marcher à la montagne pour un client ou deux, pour quelques pauvres francs dans la caisse ? Mais ce vendredi est exceptionnel, il marque un renouveau ; ces dernières semaines Marguerite, Paola et Mathilde ont beaucoup travaillé, les voilà prêtes à lancer ce projet, une sorte d’extension de celui qui est en cours dans le jardin de Mathilde.
La librairie se remplit peu à peu. Denis, menuisier ébéniste, lecteur de polars, fidèle client, arrive le premier. Du haut de rue, Mathilde et Fernando le voient qui gare sa camionnette sur la place réservée aux livreurs. Ils le rejoignent et l’aident à décharger les chevalets, les plateaux et les chaises. Marguerite a fait de la place dans le magasin, on dresse une table carrée, avec quatre chaises par côté. Hélène, la femme de Denis arrive au moment où l’on monte la table de l’apéritif avec la dernière planche et les derniers chevalets. C’est comme si une choeur de femmes entrait – elle est accompagnée de Fatou, sa voisine et de Jenna et Kira, deux soeurs amies de Fatou –, elles ne chantent pas, mais leurs mots, leurs rires et les odeurs qui s’échappent des récipients qu’elles portent sont comme un hymne à la joie. Un tintement s’ajoute à cet hymne, celui des bouteilles qu’apportent Joseph et Lili ; ils vont fermer la porte mais une odeur de pain annonce l’arrivée de Robert. André, cousin de Marguerite, arrive avec Alain et Françoise, des amis du quartier. On attend encore Rose et Paola qui finissent d’orchestrer les préparatifs du repas que l’on prendra ensuite chez Mathilde. Elles arrivent au moment où Joseph débouche la première bouteille. Un client entre au moment où Marguerite s’apprête à placer sur la porte le panneau « fermé », il est six heures et demie moins quelques minutes. L’entrée de l’homme provoque un silence stupéfait, la plupart de ceux qui sont présents ont reconnu celui qui guette le jardin de Mathilde depuis ses fenêtres, celui qu’on a surnommé le pion.