Plus que 365 jours… (43/365)

Orangé comme février – XII

«Notre vie reprit donc des couleurs pour quelques mois, poursuivait Fernando dans la maison de Mathilde et de celui qui était parti marcher pour quelques mois.

Les couleurs des jours, des semaines et des mois qui suivirent le 25 avril 1974 furent difficiles à saisir, tant elles alternaient, comme les sentiments des Portugais ; régulièrement on passait de la joie à la colère, de l’espoir aux craintes, de l’amour à la haine, du dialogue à la grève. Cela dura deux ans. Au printemps 1976, une nouvelle Constitution fut votée ; les couleurs du drapeau ne changèrent pas, mais le pays était maintenant une démocratie.

Pour moi c’était le gai qui dominait. Le travail s’assouplit pour mon père et mon grand-père ; eux et leurs collègues travailleurs n’eurent besoin que de deux courtes grèves pour imposer de meilleures conditions de travail, humaines, tout simplement. Le patron de la conserverie était un homme éclairé, marié à une femme moderne que le secondait dans l’ombre ; ils étaient prêts à entrer dans la modernité, mais n’osaient le faire trop ouvertement en ces temps incertains où tout pouvait à nouveau basculer. Alors on fit la grève, me raconta mon père plus tard, mais un peu comme au théâtre, un peu comme dans un jeu – il me dirait aussi qu’eux eurent de la chance, car ailleurs des grèves furent de vraies grèves, dures, impitoyables, avec leurs lots de misère, de blessés et de morts.

Ma mère trouva du travail, dans une épicerie du quartier, et ma grand-mère admit qu’elle n’en trouverait pas. Alors, elle et moi, on s’occupait du modeste foyer, on faisait le marché, les repas et, entre toutes ces tâches, on parcourait les rues, on fréquentait les places et les jardins publics, une sorte d’école buissonnière. Pour nous, la vie était devenue plus légère et si, de loin, nous repérions une manifestation ou un piquet de grève, nous changions notre cap pour éviter le rouge – ma grand-mère m’expliquerait plus tard sa méfiance des rouges, elle qui ne porta jamais d’oeillet à la boutonnière.

Au cours du printemps et de l’été 1974, je renouai avec l’insouciance et j’abordai les bases de l’instruction scolaire, avec ma grand-mère, la seule maîtresse que j’ai aimé.»