Orangé comme février – X
Inda um dia hás-de cantar
[Zeca Afonso]
Dans la maison de Mathilde, où Fernando venait tous les jours depuis le 1er janvier, les histoires étaient aussi interrompues. Et puis elles continuaient.
«A l’heure où d’autres prient, mon père m’expliquait que les dictatures sont indissociables d’une religion, religion officielle ou culte de la personnalité ; au Portugal c’était le catholicisme.
Rádio Renascença, radio catholique, était une des voix serviles du pouvoir, ce pouvoir qui figeait le pays sous une chape d’ordre et de dévotion. C’est pourtant cette voix-là que les militaires – ces chiens fous qui allaient se retourner contre leur maître – choisirent pour lancer le signal de l’insurrection. Ils avaient besoin d’une voix qui porte loin, sur tout le territoire, qui soit entendue simultanément dans toutes les casernes où l’on attendait dans l’ombre. Mais tout comme la dictature, l’armée était archaïque, elle ne disposait d’aucun réseau radio capable de relier l’infanterie, la marine et l’aviation ; alors les Capitaines d’avril eurent l’idée d’une radio civile.
Tout comme la radio nationale, Rádio Renascença était étroitement surveillée par les censeurs de la PIDE, la police politique, mais il y avait des infiltrés, dont Carlos Albino, un journaliste antifasciste. Cet homme courageux – aidé par un hardi technicien, Manuel Tomaz – accepta la responsabilité de lancer sur les ondes nocturnes le signal de la révolution, la chanson de Zeca Afonso – et mon père me chantait chaque fois la première strophe : Grândola, ville brune / Terre de fraternité / Seul le peuple ordonne / En ton sein, ô cité. Aux premières notes de la chanson, un censeur de la PIDE bondit en direction du magnétophone et tenta de stopper la musique, mais Albino et Tomaz s’interposèrent et l’en empêchèrent. La Révolution des Oeillets venait de commencer. Et moins de vingt-quatre heures plus tard, la dictature était abattue et le processus de démocratisation du pays était lancé ; il allait durer deux ans, deux ans au terme desquels le Portugal aurait une nouvelle constitution.
La dictature fut donc trahie par les militaires qui lancèrent une révolution démocratique sur les ondes d’une radio conservatrice. Au fil des histoires de mon père, j’apprenais aussi l’ironie de l’Histoire, disait Fernando à Mathilde.»
Un jour, vous chanterez
[Zeca Afonso]