Communiqué de la rédaction, en demi-teinte

La rédaction est contente. Le blog revit.

La rédaction n’est pas contente. Oeil qui marche écrit, mais Oeil qui marche conjugue trop bien le verbe procrastiner.

La rédaction a donc recadré Oeil qui marche. Dorénavant, l’épisode quotidien doit être publié à midi, sous peine de…

Et que l’on ne nous rétorque pas qu’Oeil qui marche n’est pas payé, ni qu’il travaille ailleurs – ailleurs au pluriel, semble-t-il même. Il n’a qu’à s’organiser ! Au lieu de conjuguer procrastiner à tous les temps, qu’il écrive plus, boive davantage de café et dorme moins !

Et qu’on ne nous dise pas qu’il supporte la caféine, c’est son problème ! Qu’on nous dise plutôt merci de ce recadrage !

Et ce sera tout jusqu’à la prochaine fois.

La rédaction

Plus que 365 jours… (28/365)

Blanc comme janvier – XXVIII

D’autres couleurs succédaient au blanc et à l’orange de janvier, l’année se poursuivait en vif et en pastel.

Les arbres du verger-jardin n’avaient pas été plantés par espèces, dans des secteurs réservés, mais plutôt savamment répartis dans l’espace afin de ménager des vides et des pleins, de l’ombre et de la lumière. Ici de grands arbres voisinaient avec de plus petits, là des arbres de taille semblable formaient comme un tunnel, plus loin on voyait des spécimens isolés, grands ou petits. De loin on aurait pu croire à l’anarchie – celle que croient combattre les dictatures –, mais c’était tout le contraire.

De près, on voyait que des petits fruits et des légumes avaient pris place entre les arbres, en fonction de l’ombre et de la lumière dont ils avaient besoin ; on constatait également que légumes et les petits fruits étaient eux aussi mélangés – aucune plate-bande homogène – car, disaient ma grand-mère, les végétaux se complètent, se soutiennent, se renforcent, je l’ai appris de mes parents, qui eux-mêmes l’ont appris de leurs parents, qui eux-mêmes…

Depuis plusieurs générations, le domaine était loué par la famille de ma mère à des notables de Lisbonne qui ne connaissaient de la terre que la couleur de l’argent.

Fille unique, ma grand-mère maternelle avait poursuivi l’oeuvre de ses ancêtres, ces savants cultivateurs qui aimaient lire Virgile. En épousant mon grand-père, elle avait fait entrer dans la famille les savoirs des éleveurs. Ensemble, ils avaient conçu ma mère devant l’océan, une nuit d’avril ; elle était née un nuit de janvier, éclairée par la lumière blanche des amandiers en fleurs, devant le même océan. En épousant mon père, elle avait fait entrer dans la famille les savoirs des pêcheurs.

De janvier à mai, les arbres étaient nos réverbères, allumés ou éteints ; la lumière passait des uns aux autres en changeant de couleur. Et, progressivement, le sol s’allumait aussi : l’herbe, les fleurs, les fruits et les légumes. Et lorsque l’hiver était là, les agrumes perchés étaient nos lanternes, avant le retour du blanc. Ainsi passa ma petite-enfance. Puis arriva le noir, l’autre somme de toutes les couleurs.

C’est de cette façon que parlait le bègue, dans la cuisine de la jardinière qu’il visitait tous les jours depuis le 1er janvier.

Plus que 365 jours… (27/365)

Blanc comme janvier – XXVII

Depuis ce 21 mars, le plus clair des jours de ma petite-enfance – qui prit fin brutalement vers mes cinq ans et demi – se passe dans cette pente cultivée, entre maison et océan. Avec mes parents et mes grand-parents, cet espace me nourrit, cet espace m’élève. Le plus clair de mes jours, mais aussi de mes nuits. Je suis un enfant de plein-air.

Dès fin janvier, le versant se couvre de blanc, les amandiers sont en fleurs. Ce blanc – notre neige à nous – est très fragile, le gel peut le brûler. Lorsque le blanc du givre menace le blanc des fleurs – les guerres civiles sont les plus cruelles – on allume des feux entre les arbres, avec des fagots bien secs. Feu, contre-feu.

Dès que j’ai su tenir sur mes jambes, on m’a appris à fagoter les branches des arbres que les adultes taillaient, amandiers, orangers, citronniers, figuiers, néfliers, oliviers, bref, tous les arbres qui m’ont appris les goûts et les couleurs. Plus tard, j’ai su disposer et enflammer ces faisceaux de branches pour protéger d’autres branches, celles qui étaient en fleurs, mais sans les abîmer, ni elles, ni les troncs.

Mon grand-père me montrait que les couleurs des arbres qui protégeaient les fleurs d’amandiers se retrouvaient toutes dans les flammes, orange, rouge, bleu, violet, vert, jaune… Il me disait aussi que le blanc était la somme de toutes les couleurs.

Voilà ce que j’apprenais aussi durant ces nuits qui n’étaient pas noires, ces nuits d’hiver qui étaient pour moi de véritables veillées, à plusieurs feux, à plusieurs voix, veillées durant lesquelles les adultes me racontaient des histoires ou me récitaient des vers, les vers d’une épopée extraordinaire, celle qui voit le blanc et le orange s’affronter à mort.